Chapitre Dix-Huit.

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Harry boite un peu plus que d'habitude quand il entre dans la boulangerie ce matin-là et Cara, qui est arrivée en avance pour lancer une première fournée de brioches garnies, lève à peine les yeux du comptoir. Elle a accroché ses longs cheveux blonds en une queue de cheval lâche et son tablier blanc est déjà taché de farine.

_Hey, tu as vu les –

Elle se stoppe et observe le bouclé clopiner grossièrement jusqu'à l'arrière boutique.

_Tu boites plus qu'hier.

Et c'est une simple levée d'yeux au ciel qui lui répond, parce qu'il a vraiment mal dormi et qu'il n'a pas envie d'en parler. Ça fait à peu près une semaine qu'Anne ne cesse de l'appeler tous les soirs pour lui demander des nouvelles et lui reprocher de ne pas avoir pris de béquilles, et ça fait aussi à peu près une semaine qu'il est en constante peine. Aucune position ne le soulage : debout, il a mal, assis, il a mal, couché, il a mal.

Il a mal tout le temps.

Et il sait aussi que c'est stupide de continuer comme ça parce qu'il ferait mieux de retourner voir le médecin au lieu de souffrir inutilement, il ferait même mieux d'y aller avant que ça n'empire, mais il ne peut pas s'y résoudre. Ils l'obligeraient à les prendre, ces foutues béquilles, il en est sûr. Et ça le rendrait infirme pour le reste de sa convalescence : il ne pourrait plus travailler.

Seulement cette possibilité est exclue aussi parce qu'il ne peut plus poser de congés et refuse simplement de se mettre en arrêt maladie car Cara a déjà tenu la boutique pendant ses deux semaines de vacances. Même Louis n'est pas parvenu à le convaincre de changer d'avis quand il l'a eu avant-hier au téléphone.
Il a eut le droit à l'habituel : Je vais mieux.

_T'es stupide.

Ce sont les seuls mots que la jeune blonde finit par prononcer car elle sait pertinemment qu'elle se fera appeler Juliette si elle en dit plus, et elle sait aussi pertinemment que ses mots n'auront aucun impact sur ses décisions.

_Et si on prenait quelqu'un ? elle tente pourtant sans s'avouer vaincue. Juste le temps que tu te remettes ?

Et le bruit de l'attelle est sa seule réponse. Elle l'entend s'éloigner en direction des frigos pour sortir du beurre, du lait, dieu seul sait ce qu'il s'est mit en tête de préparer de si bon matin, et elle capitule. La discussion est close. Pour le moment.

*

Le café en face de la boulangerie vend le journal. Il a toujours vendu le journal.

Entre deux paquets de cigarettes, entre deux timbres et deux magazines people, il vend le journal.
Il vend le Times, le Daily Telegraph, l'Independent, l'Observer, le Guardian ; mais il vend surtout les bons journaux, ceux qui contiennent les meilleurs potins. Ceux qu'on trouve dans le Sun par exemple, ou bien dans le Sunday Mirror. Il vend la presse à sensation internationale.

Il vend ce que tout le monde veut lire. Parce que c'est ce qui marche le mieux de nos jours. Les ragots, les ouïes-dires, les on-dit...

Les gossip.

Et c'est pour ça que cette journée déjà bien mal commencée semble empirer d'heures en heures.

C'est pour ça qu'à sa pause déjeuner, quand elle sort acheter une carte postale pour ses parents, Cara tombe sur la première page du Daily Mail.

Et elle n'a pas besoin d'y regarder à deux fois pour en être certaine : là, devant elle, en gros, en gras, en majuscules et en lettres capitales sont inscrits le nom et le prénom d'un garçon qu'elle connaît bien.

The perfect sky is Torn.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant