Le grand final

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-«Pardonnez-moi mais je n'ai pas bien compris ce que...»
-«J'ai été engagée afin d'enquêter sur la mort de votre frère.»
-«Mais mademoiselle, mon frère est au cimetière et il est mort d'une overdose de cocaïne...»
-«Arrêtez de jouer les innocentes.»
Je suis maintenant appuyée sur l'accoudoir gauche de sa chaise et mon visage est à trois centimètres du sien.
-«Je suis au courant de tout et sachez que la police est en route mais le temps que les premiers fourgons arrivent cela m'en laisse assez pour tout expliquer à vos pauvres invités qui doivent assurément se poser tout un tas de questions sur cette situation peu confortable mademoiselle.»
-«Qu'est ce que vous voulez dire?»
Yujing essaie de garder son calme mais la tension est palpable.
Je contourne sa chaise.
-«Ce que je veux dire c'est que vous êtes malade ma chère.»
-«Pardon?»
-«Mais devrais-je plutôt dire folle. En effet, vous êtes atteinte d'une forte schizophrénie.»
-«Je... mais... Comment pouvez vous dire une chose pareille?! Vous savez qui je suis?!»
-«Oh oui! Je connais tout de vous! De votre tendre enfance à Séoul jusqu'à vos début dans le trafic de drogue ici, à Londres.»
-«Mais de quoi parlez-vous?!»
Elle commence à m'énerver sérieusement à faire la petite fille innocente!
Je me penche près de son oreille droite.
-«Mademoiselle... Je vais commencer à raconter la belle et tragique histoire de votre arrivée à Londres, donc si vous pouviez la fermer, je ne vous cache pas que cela m'arrangerait...»
Lorsque je m'écarte, je remarque que ses yeux ont doublé de volume.
Elle me regarde d'un air choqué.
-«Vous êtes d'une grossièreté!»
Je lui souris et commence à raconter.
-«Vous êtes arrivés à Londres en janvier 2015 avec votre petit frère grâce à l'argent que vous avez tous deux gagné en étant des égéries pour le magazine «Vogue» en Corée. Vous êtes partis de la Corée du Sud, notamment à cause de l'alcoolisme de votre père et de l'inattention de votre mère envers ses enfants, c'est à dire vous.
Une fois arrivés dans notre si beau pays, vous vous êtes rapidement rendus compte de la difficulté à trouver du travail dans les pays européens, surtout en tant que mannequin. Vous avez quand même décidé de louer un petit appartement dans la capitale et avez commencé à gagner de l'argent d'une manière bien moins respectable.»
-«Comment?»
Sophia a vraiment l'air captivé par le moindre mot de ma triste histoire, ce qui me fait doucement sourire.
-«La drogue ma chère, la drogue!»
Le visage de l'autruche se décompose en entendant ce mot qui, il me semble, fait pourtant partie intégrante du milieu dans lequel elle travaille.
Yujing m'attrape le bras et me siffle quelques mots à l'oreille.
-«Si vous dites un mot de plus, ma carrière est foutue!»
D'un geste brusque, je l'oblige à lâcher prise, lui souris à nouveau puis me tourne vers l'assemblée et continue à conter l'histoire.
-«Yujing et Ji-yong sont donc devenus des pions importants dans le trafic de drogue de la capitale. Ils ont tout de même continué à faire des castings et, un beau jour, une lettre est arrivée!»
Les yeux de Yujing pourraient me tuer si ils étaient des revolvers.
Néanmoins, je continue.
-«La lettre disait que vous et Ji-yong étiez conviés à un shooting pour le magazine «Industrie». Mais il y avait un petit problème....»
Je contourne de nouveau sa chaise afin de pouvoir me trouver au sud-est de Yujing et pouvoir poser mes mains de chaque côté du dossier.
-«Ji-yong ferait la couverture, mais pas vous... Vous n'auriez fait qu'une simple page.»
Ji-yong eut un petit rictus en regardant sa soeur si mal à l'aise. Il prend du plaisir à la voir souffrir.
-«Mais comment votre petit frère pouvait-il faire la une d'un magazine et pas vous? Une idée a donc germé dans votre tête et c'est à ce moment précis que votre schizophrénie entre en jeux.»
Tout le monde est captivé, même Ji-yong alors qu'il connaît déjà la chute de son histoire.
-«Une partie de vous était éperdument jalouse du statut de votre frère et l'autre part de vous était triste, mais heureuse pour lui.»
-«Ce que vous dites n'a aucun sens!»
Je m'efforce de garder mon calme face à la rage que dégage Yujing.
-«Il y en a un, puisque c'est cette seconde part de vous qui vous a volontairement trahie.
Vous êtes sortie et avez envoyé un sms à votre frère, sous numéro masqué et en vous faisant passer pour un toxicomane en manque de cocaïne. Vous lui avez donné rendez-vous dans un endroit calme, à l'abri des regards: sous le pont Hungerford. Vous saviez qu'il n'hésiterait pas une seconde et qu'il viendrait sans poser de question.
Vous l'avez fait patienter pendant un peu plus de deux heures et ensuite vous êtes arrivée, un chocolat chaud à la main.
En fait, vous aviez mis quelques gouttes de neurotoxine dans la boisson.»
-«C'est quoi une neurotoxine?»
Sophia, toujours autant captivée, pose encore une fois la question que tout le monde se pose. Je ne peux bien évidemment pas rentrer dans la tête de tout le monde mais ils attendent tous mon explication d'un air impatient.
-«Demandez donc à l'experte.»
Je me tourne vers Yujing qui serre encore un peu plus fort les poings.
-«Je ne sais pas ce que c'est.»
Je soupire.
-«Une neurotoxine est une substance qui, lorsqu'elle se trouve en contact avec l'organisme, provoque une paralysie quasi-totale.»
Certains acquiescent, d'autre chuchotent.
-«C'est un liquide qui fait que vous ne savez plus bouger, plus parler, vous ne savez plus que respirer.»
Un gros «Ah oui...» s'échappe de l'assemblée, ce qui fait sourire Ji-yong.
Une fois le calme revenu, je continue.
-«Vous avez donc mis une neurotoxine dans le chocolat chaud et êtes restée jusqu'à ce qu'il boive la toute dernière goutte.»
-«Vous êtes complètement folle!»
-«Peut-être, mais cela n'empêche que j'ai raison. Une fois que les premiers effets se sont fait ressentir, vous avez sorti un joli petit couteau de cuisine de votre poche et...»
Je me tourne vers Yujing, le regard lourd de sous-entendu.
Elle me supplie.
-«Arrêtez...»
Mais je ne peux pas arrêter, pas maintenant.
-«Désolé.»
Je me retourne vers les invités.
-«Et vous l'avez poignardé trois fois. Prise de panique, vous êtes directement rentrée chez vous sans même penser à vraiment cacher le corps. Mais la seconde part de votre personnalité est revenue au galop et vous a forcé vouloir enterrer votre frère. Le seul problème est que dans une tombe, il faut un corps. Mais vous ne pouviez pas prendre le corps de Ji-yong. À la morgue, ils se seraient forcément rendu compte de quelque chose. C'est à ce moment que vous vous êtes souvenue qu'un grand-père vous avait demandé où se trouvait le numéro 31 de Denmark street tout en vous racontant toute sa vie. Et c'est LÀ que j'ai commis une erreur!»
Ji-yong est maintenant à côté de moi et pose sa main sur mon épaule droite.
Avant d'entrer dans le château, je lui avais dit à quel point il est difficile pour moi d'avouer mes erreurs.
-«Lorsque je suis allée à Denmark street, la police était encore là et on m'a dit que c'était parce qu'il y avait une cinquième victime. J'ai déduis que c'était le chat de la famille mais j'avais tort. En fait, c'était ce vieil homme la victime manquante. C'est pour cela qu'à la morgue, le nom de Kwon Ji-yong leur semblait familier.»
Ji-yong me sourit et je devine avec facilité qu'il est assez fier de moi.
Il retourne derrière Sophia afin de mieux apprécier la suite du «spectacle».
-«C'est vous, mademoiselle Kwon, qui avez fait écrire le chiffre 54 sur le plancher de l'étage, par la plus petite des deux filles. Elle avait seulement dix ans! C'est vous qui, ensuite, avez mis feu au premier étage pour couvrir votre meurtre. Car oui, vous avez non seulement poignardé votre frère à trois reprises, causant sa mort, mais vous avez aussi tué toute une famille innocente juste pour couvrir le meurtre de votre frère!»
L'assemblée est bouche bée et Yujing a les poings tellement serrés que ses ongles manucurés pourraient transpercer ses paumes sans difficulté.
-«Mais ce n'est pas tout ce que vous avez fait dans cette maison. Vous y avez laissé un indice qui m'a été crucial dans ma recherche. Tout le monde sait qu'un criminel revient toujours sur la scène du crime? Et bien, c'est exactement ce que vous avez fait! Vous êtes retournée sous le pont afin de prendre le téléphone de Ji-yong et vous avez changé le code en quelque chose que seule une personne n'étant pas étrangère à tous ces meurtres aurait pu déceler.
Vous êtes ensuite allée déposer le téléphone dans la maison brûlée.
C'est la nuit où vous êtes allée sous le pont que vous avez amené une couverture afin de cacher le cadavre de votre frère aux yeux des passants qui pourraient se promener sous les ponts.
La partie la plus sensible de votre personnalité m'a laissé un autre indice sur la tombe de Ji-yong: le fameux «XXXI» gravé maladroitement en bas à gauche à l'arrière de la plaque que vous avez placée en son souvenir.»
Les yeux s'écarquillent de plus en plus, au fur et à mesure que les mots s'échappent de ma bouche.
Seul Ji-yong reste de marbre, car déjà habitué à la vitesse du débit de mes paroles.
Je continue, tâchant de ralentir pour les cerveaux les plus lents du groupe.
-«Pour conclure, je dirais qu'en m'invitant ici, vous prouvez que vous voulez être arrêtée car vous savez que vous représentez une menace et que la culpabilité vous ronge petit à petit.»
C'est à ce moment que les policiers entrent dans le château, pistolet à la main.
Yujing se lève de sa chaise, marche avec calme vers les officiers avant de tendre dignement les poignets afin qu'un policier lui mette les menottes.
Une partie des policiers embarque directement Yujing tandis que les autres essaient de calmer les mannequins, affolées par les événements récents.
Ji-yong se place à ma droite et passe son bras autour de mes épaules.
-«Tu m'as vachement impressionné!»
-«Oh merci!»
-«Bon, je suis claqué, on rentre?»

C'est fini?
Euh... pas tout à fait.

just HOLMESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant