Chapitre 14

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Après une demi-heure de marche rapide, nous quittons ce passage bas de plafond pour atterrir dans les caves du monastère voisin, Deir-el-Suryan. Nous montons des escaliers qui nous mènent dans le réfectoire désert. Puis nous débouchons sur une vaste cour. Je discerne dans le clair-obscur nocturne deux hauts clochers, la tour trapue du Qasr gardant l'entrée du monastère, un cube blanc percé de minuscules ouvertures, avec son pont levis baissé qui me fait penser aux châteaux des seigneurs du moyen-âge. À l'intérieur du mur d'enceinte fortifié s'élèvent de petits dômes coiffés de grandes croix tréflées. Encore des chapelles. Mais où trouver âme qui vive ici, au milieu de la nuit ?

John s'avance vers une des chapelles, que nimbe une lumière tremblante et minuscule comme celle de bougies. La porte est ouverte. Nous nous déchaussons et pénétrons dans la nef, la remontons jusqu'au chœur, le Khurus, situé derrière un grand porche de bois. Comme magnétisée, je lève les yeux vers les fresques qui décorent les murs puis une demi-coupole, aux couleurs patinées par le temps mais qui irradient pourtant de majesté. Je retrouve dans ces prophètes, ces anges, archanges et saints des similitudes avec les peintures égyptiennes de la grotte, comme si la ferveur des croyants quel que soit ce en quoi ils croient restait immuable à travers les âges. Je suis brusquement rappelée à la réalité par un coup de coude de John, qui m'incite à l'imiter en inclinant la tête vers un groupe de moines apeurés, tapis dans l'ombre du côté du Khurus:

- Pardonnez notre intrusion, mes Frères, et n'ayez aucune crainte...

Le père supérieur, frère Kyrillos, après avoir attentivement écouté dans son austère bureau les explications de John et visionné son enregistrement sur le téléphone, ferme les yeux et marmonne une prière. Puis il prend une grande inspiration et nous dévisage à tour de rôle :

- Notre patriarche, le père Tawadros II, doit être immédiatement informé. Il saura quelles décisions prendre à l'égard de frère Zacharias, et de la grotte que vous avez découverte. Confiez-moi votre téléphone et veuillez m'attendre un instant ici je vous prie.

Devant nos yeux médusés, il se dirige vers une grande icône représentant un Christ crucifié, avec à sa droite Marie, sa mère, et à sa gauche St. Jean, l'apôtre. Il appuie des doigts sur le nimbe doré du Christ, l'emplacement le plus lumineux de la peinture, et par un mécanisme caché le panneau de bois soutenant l'icône se déplace sur le côté, découvrant une seconde pièce.

Je murmure, rêveuse :

- « Les meilleurs secrets se cachent dans la lumière »...

Quand le panneau se referme derrière frère Kyrillos, John se lève de son siège et fait quelques pas en s'étirant. Il s'arrête face à l'icône pour la contempler. Il pense à voix haute, comme s'il récitait un cours sur l'art byzantin :

- La croix fait le lien entre le ciel et la terre, c'est le gibet devenu Arbre de Vie par la Passion et Résurrection du Christ, planté sur le Golgotha, le « lieu du crâne ». Dans la caverne gît le crâne d'Adam,prototype de l'Humanité mortelle, grain enfoui en terre qui doit mourir pour porter du fruit...

Et soudain, John pousse un cri et se précipite vers moi, les yeux exorbités :

- Leyla, vite, on doit s'enfuir d'ici au plus vite !!!

- Mais qu'est-ce qui te prend ?

- Ce secret-là, il était caché dans l'ombre ! Le crâne, il porte le même « H » stylisé que celui de la Hannibal Corp. ! Le frère Kyrillos aussi est de mèche avec lui !

A cet instant, tout s'enchaîne aussi vite que le sable qui s'écoule d'un sablier brisé. Un vrombissement retentit, comme celui d'un moteur de voiture en approche rapide. Des rais de lumière déchirent la nuit et traversent les fenêtres du bureau, nous éblouissant. L'icône remue et de la pièce attenante, frère Kyrillos surgit, nous menaçant d'un pistolet automatique :

-Vous auriez dû donner l'objet à Frère Zacharias. Mais vous avez voulu jouer au plus malin, et il a jugé que vous deveniez gênants...

Je n'y comprends rien ! J'ai vu John déposer la boîte à échantillons dans la paume de frère Zacharias, et maintenant frère Kyrillos la réclame ??? Et pourquoi John reste-t-il aussi impassible ?

- Qui ça, « Il » ? Votre patriarche, ou bien ce cher John Fitzgerald Hannibal ?, laisse tomber froidement John en s'avançant lentement vers frère Kyrillos. Comment a-t-il réussi à vous corrompre ? En promettant une protection illusoire pour votre minorité ? En enterrant d'affreux secrets que vous ne souhaiteriez pour rien au monde qu'ils éclatent à la lumière du jour ? Ou en vous achetant avec ses millions de dollars ?

Ce dernier, déstabilisé par l'attitude de John, fait un pas en arrière :

- Inutile de résister, les hommes de monsieur Hannibal vont vous neutraliser dans les secondes qui viennent ! Veuillez me remettre le véritable triangle maintenant, et vous pourrez éviter une effusion de sang inutile !

J'ai l'impression d'être une marionnette stupide assistant à un duel qui lui échappe complètement. Mais de quel triangle ils parlent ?

John glisse la main gauche dans la poche de son Jeans, en extrait une boîte à échantillons identique à celle qu'il avait remise au frère Zacharias. Il la secoue pour faire cliqueter le triangle contenu dedans et continue à avancer vers le moine :

- C'est ça que vous vouliez ? C'est bon, vous avez gagné.

Le moine, hésitant, tend sa paume vers John. Ce dernier, au moment de déposer la boîte dans la paume tendue, fait une manœuvre hyper rapide : une clé au bras armé du moine, qui pousse un cri de douleur et lâche le revolver. John me lance alors la boîte à échantillons et lutte avec le moine qui a réussi à se défaire de sa prise tente de ramasser le pistolet. John lui envoie un coup de pied à l'arrière des genoux qui le fait s'étaler au sol. Puis il le terrasse en l'assommant d'un coup à l'arrière de la nuque. Tandis que les ordres donnés aux hommes d'armes sautant du 4x4 parvenu dans la grande cour fusent, John m'attrape la main et m'entraîne en courant hors du bureau, nous dirigeant vers l'arrière du bâtiment. Je comprends enfin l'attitude de John. Il était tellement méfiant qu'il a remis à Zacharias un faux triangle ! Gros risque, me dis-je en me cavalant jusqu'à la sortie arrière du bâtiment, où je découvre une courette donnant sur le mur d'enceinte. J'avise alors un étroit escalier creusé dans le mur, à quelques mètres de là, et nous sprintons dans cette direction. Nous avons presque atteint le sommet quand le phare d'un projecteur mobile nous inonde de sa clarté, et une voix glaciale retentit :

- Ne bougez plus, vous êtes cernés. Levez les mains et posez-les sur votre tête

J'aperçois des ombres courir dans notre direction. Le cœur battant à tout rompre, je grimpe encore une marche quand une balle explose la pierre placée devant mon pied. Ok j'ai compris. Je m'exécute lentement, non sans lancer un coup d'œil à John puis au-dessus du parapet. Et si on sautait par-dessus ?


Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant