Chapitre 7

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Une lumière irréelle et rasante venue d'une percée des rochers de voute, darde son rayon sur la face du cobra immobile. Il n'a pas bougé d'une écaille ! Je secoue la tête pour chasser le vertige d'incompréhension qui me prend devant le phénomène qui se produit sous mes yeux. Comme hypnotisée, je regarde la lumière s'intensifier lentement, descendre le long du corps du serpent, s'oranger, puis jaunir et pâlir, repoussant l'image du cobra dans une semi-pénombre finalement rassurante. Mes jambes me lâchent d'un coup et je me retrouve assise sur les marches, étourdie de peur rétrospective. Cette lumière doit être celle du jour naissant, et ce serpent une gravure peinte dans la paroi rocheuse bordant l'escalier. Mais comment une peinture peut donner l'impression d'autant de réalisme et faire croire que ce cobra est vivant ??? L'artiste qui l'a peint a du observer ce phénomène lumineux et s'en servir pour transmettre un message à ceux qui passeraient par ici, mais lequel ? Et pourquoi un serpent ?

J'abandonne la tenture et le tesson de terre cuite désormais inutiles pour descendre lentement les marches vers le serpent inoffensif. Dans les religions monothéistes, le serpent est symbole du Mal. Il n'y a qu'à voir ce qui est arrivé à Adam et Eve lorsqu'ils ont écouté le serpent tentateur... Mais dans d'autres croyances, le serpent représente l'immortalité, l'infini, les forces sous-jacentes menant à la création de la vie. Pour les Grecs de l'antiquité, l'Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, était symbole d'autofécondation et d'éternel recommencement. Quant aux Egyptiens, ils vénéraient l'Uraeus, le cobra sacré, comme protecteur des Pharaons. Et des agriculteurs puisqu'il les débarrassait des insectes et mulots ! Comment comprendre ce message un peu trop subliminal pour moi ? Tandis que je reste plantée devant le cobra qui me fixe de sa pupille menaçante aux reflets verts et or, me revient la légende égyptienne qui m'impressionnait tant, petite, et qui met en scène un serpent néfaste, maître des forces hostiles en révolte contre l'ordre du monde, le terrible Apophis...

Chaque matin, l'immense serpent Apophis attaque la barque céleste de Rê, le dieu soleil, dans l'espoir de l'empêcher d'atteindre sa destination. Isis utilise toute sa magie pour priver Apophis de ses sens et le désorienter. Le chat de Rê, Bastet, le découpe en morceaux à l'aide d'un grand couteau.

Seth l'attaque avec son harpon. Les défenseurs sortent vainqueurs de l'attaque et l'horizon se teinte à l'est du sang rouge du serpent. Malgré tout Apophis contre-attaque toujours. À midi, il boit toute l'eau du fleuve céleste pour immobiliser le convoi. Mais heureusement les fidèles de Rê parviennent à lui faire recracher le précieux liquide et au soir, le sang du serpent inondera à nouveau l'horizon, à l'ouest.

Derrière cette légende venue du temps des Pharaons, je crois qu'il y a un message universel. Si Apophis, toujours vaincu, n'est cependant jamais complètement détruit, c'est sûrement que son existence fait partie de l'univers. Il nous rappelle la fragilité de l'ordre universel, qu'il est nécessaire d'entretenir afin que les forces du Chaos ne reprennent pas le dessus... Ouh, je deviens philosophe, ce n'est pas vraiment mon style ! En tout cas cette mise en scène de Rê renvoyant Apophis aux ténèbres me rassérène et, dans la lumière désormais pâle et ténue qui s'infiltre par cette fissure dans la voûte, je remonte les escaliers, décidée à remettre scrupuleusement en ordre l'abri. Non pas par maniaquerie comme lorsque je brique le salon de beauté de tante Wadiha à la fermeture, mais par respect pour les principes de l'archéologie. Lorsque les « chefs » viendront examiner ma découverte, ils devront trouver le lieu au plus près de ce qu'il était quand j'y ai pénétré. Je vais donc tenter de raccrocher la tenture.

Quand j'ai arraché la tenture, je me souviens qu'une pluie de cailloux s'était répandue au sol. À ce moment, je ne pensais qu'au cobra et surtout pas à comment j'allais remettre cette tenture en place. J'observe attentivement le fragment resté suspendu pour comprendre comment ceux qui ont accroché la tenture s'y sont pris. En même temps, ma main palpe le fronton de l'arche d'entrée et le fragment qui pendouille. On dirait qu'un sillon a été taillé dans le roc, l'extrémité de la tenture a été plaquée dessus et des pointes en bois et en rocher ont été enfoncés par-dessus dans le sillon à coups de maillet. Ah tiens on dirait que c'est creux en dessous de la tenture, à l'extrémité de l'arche ? Je glisse ma main sous la tenture et je découvre une sorte de petite niche taillée. Si j'ai de la chance, j'y trouverai les trois outils du sânkh , un maillet de bois, un ciseau de cuivre et un polissoir. Je me hisse sur la pointe des pieds et introduis ma main à tâtons à l'intérieur de la niche. Mais je comprends assez vite à la texture de ce que j'y rencontre, que cela ne me servira sûrement pas à taper avec. Je suis déçue mais par curiosité, je le sors quand même de la niche. Oh mince ! C'est un rouleau de parchemins ou de papyrus, aux bords un peu effrités !

Je sais bien qu'il ne faut jamais manipuler ce genre de supports sans prendre de grandes précautions, notamment d'humidification préalable et de mise à plat, mais je suis trop excitée et je commence à dérouler les feuillets craquants. Les premières lettres pâlies ressemblent à du grec, du grec ancien je pense. Oh zut, mais pourquoi j'ai appris à lire les hiéroglyphes et pas le grec ! Bon allez, ça suffit, je laisserai faire les experts. Je remets à regret le rouleau dans sa niche, plie la tenture au pied de l'arche et quitte la caverne avec un dernier regard à Rê, le dieu-Soleil, en souhaitant qu'il éclaire ma route.

Je reprends le chemin par lequel je suis arrivée.

D'abord debout, puis marchant humblement à quatre pattes et rampant comme un serpent, revivant à l'envers la progression du nourrisson, à l'enfant, à l'adulte...

Quand je ressors enfin de cet enchaînement de passages et de cavernes, et que je me dresse à nouveau sur mes deux pieds, l'aube victorieuse m'accueille. Je respire à grandes goulées et salue le réveil de la vallée. Ses couleurs sable, ocre, roche et feuillage me réjouissent après ce passage dans les ténèbres oppressantes. Quand je lève le regard, je devine en contre-jour une série de crêtes ciselées par le soleil levant. Est-ce que je vais avoir assez de forces pour grimper jusque-là, histoire d'avoir un panorama suffisant pour me repérer ? Il faut que je retrouve la route qui passe par les monastères coptes encore en activité. Et là, je trouverai le moyen de contacter l'équipe d'archéologues d'Alexandrie qui doivent s'inquiéter du sort de leur stagiaire. Et j'avertirai l'université et mon professeur d'Archéologie de ma découverte, eux sauront sûrement à quel service des antiquités nationales je devrai m'adresser pour à la fois révéler et protéger ce lieu d'histoire. Et je demanderai à John de venir me chercher avec sa vieille Simca. Et aussi peut-être que ces bons moines m'offriront quelque chose à manger !

Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant