Chapitre 11

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Assise en tailleur sur le canapé, je savoure avec un plaisir non dissimulé les Mezzés que John a achetés pour notre dîner. C'est fou comme il est prévenant ce garçon. Il s'est débarbouillé et changé à son tour et nous voilà installés confortablement dans son salon. Tout en grignotant les délicieux roulés au fromage, les feuilletés aux légumes ou à la viande, nous discutons à bâtons rompus de ma mésaventure, de nos vies et de nos centres d'intérêt, et c'est vraiment agréable de se découvrir ainsi, en dehors de la fac. Quand je lui parle d'Amira, je découvre avec joie qu'il adore les chevaux lui aussi.

- Quel bonheur de rencontrer une telle princesse, fait-il d'un ton rêveur.

- Merci du compliment ! je le taquine, mais je suis une fille du peuple !

- Je parlais de la jument ! Euh... mais tu es pas mal non plus, se rattrape-t-il. Je veux dire, qu'un pur-sang arabe sauvage t'accorde sa confiance, c'est tellement rare, ils sont si fiers, si difficiles à apprivoiser. Tu sais ce que les cavaliers d'Égypte racontent comme légende ? Allah créa le cheval à partir d'une pincée de vent. Il donna ce fils du vent à l'homme en lui disant : « Va, et sur son dos, tu gouteras aux plaisirs que je te réserve dans mon paradis ».

- Amira serait fille du vent et princesse de la lune... J'aimerais tellement la revoir !

Nous restons un moment silencieux, pris dans cette féérie. J'ai envie de lui proposer de venir passer un week-end chez mes parents. Je lui ferai découvrir l'oasis que mon père a réussi à faire classer comme réserve ornithologique et qu'on ne peut traverser qu'à pied, en barque ou à cheval. Je n'ose pas trop, peut-être qu'en se connaissant mieux j'accepterai de me faire appeler « ma caille », « mon bulbul », « mon gobemouche » ou d'autres noms ridicules d'oiseaux devant lui ! Ce moment de silence plane comme un vol de tourterelles sur nous, quand soudain, John se frappe le front avant de se diriger vers son bureau et d'en ouvrir un tiroir. Il en ressort un vieux téléphone portable et me le tend :

-C'est mon ancien et je ne m'en sers pas. Si ça peut te rendre service... Tu m'as bien dit que tu avais récupéré ta carte Sim après l'accident ?

- Elle doit encore être dans mon Jeans, je vais la chercher. C'est vraiment sympa de ta part.

Quand je reviens de la salle de bains, je dois avoir un air trop bizarre car John me fixe, inquiet :

- Qu'est-ce qu'il y a, tu ne l'as pas retrouvée ?

- Si si, mais j'ai retrouvé ça aussi, j'ai failli l'oublier, lui dis-je en lui tendant le triangle de métal que j'avais trouvé sous l'œil du cobra peint, et glissé dans la poche de mon Jeans. Ça te dit quelque chose ce truc ?

John s'essuie les mains avant de se lever et de se diriger vers moi. Il saisit du bout des doigts le triangle de métal, le tend vers la lumière d'une lampe, puis lève un sourcil étonné :

- Tu avais remarqué qu'il y avait des signes gravés dessus ?

D'un coup, nous oublions le dîner pour nous intéresser au mystérieux triangle. John fait de la place sur son bureau, pose le triangle sur un plateau lumineux revêtu d'une feuille plastifiée. Il approche une deuxième chaise pour moi et me tend un pinceau. J'époussette le triangle, des restes de pigments colorés, de minuscules poussières et fragments de rocher tombent. Je saisis le triangle avec une des fines pinces et le retourne, pour finir de nettoyer l'autre face. John recueille les débris en roulant la feuille de plastique en forme d'entonnoir, et verse ces petites miettes dans une éprouvette :

- On pourra les analyser au labo de la fac.

Puis John décide de prendre le triangle en photo avec son téléphone dernier cri, recto et verso, posé sur le plateau près d'une règle graduée. Il transfère les photos sur son ordi puis reste prostré un long moment en contemplation devant sur son écran avant d'émettre d'un ton lugubre :

-Cassé... dommage.

- Pardon ?

- C'est un morceau de quelque chose de plus grand. Si j'avais l'ensemble, peut-être que je réussirais à déchiffrer ce qui est gravé dessus. Car tu vois, outre les symboles géométriques, qui les entourent, ces signes sont des lettres grecques, mais elles n'ont aucun sens disposées ainsi.

Je le savais, que j'aurais dû prendre l'option grec ancien plutôt que l'option hiéroglyphes ! Mais tant qu'au moins un de nous deux s'y connait... Je réfléchis intensément :

- Pardonne à la fan de pharaons, mais ton triangle, là, ce ne serait pas le sommet d'une pyramide ?

En virtuose, John pianote sur son clavier et fait virevolter sa souris. Il fait apparaître les photos des pyramides de Guizeh et superpose l'image du triangle dessus :

- Non tu vois, l'angle du sommet du triangle fait exactement 36°, il est bien plus étroit que celui de tes pyramides et... 36° ??? ça ne peut pas être une coïncidence. Si je ne me trompe pas....

Oh il va trop vite pour moi... En quelques manipulations, John fait une extrapolation à partir des mesures du triangle, pour insérer ce dernier au sommet d'une des cinq branches d'une étoile. Ou c'est un magicien, ou c'est moi qui suis vraiment trop nulle en géométrie. Devant ma mine déconfite, il me demande :

- 36°, pentagramme, Pythagore, nombre d'or, ça ne te dit rien ?

- Je n'ai jamais aimé les maths, désolée. Tout ce que je comprends, c'est que ce triangle serait une pièce isolée d'un puzzle, qui serait probablement une étoile à cinq branches, gravée de signes incompréhensibles. Nous n'avons qu'un seul morceau de cette étoile, et je ne crois pas que les autres morceaux étaient cachés sous la peinture du serpent de la caverne, je les aurais sentis. Donc, le ou les morceaux sont ailleurs et tant qu'on n'aura pas reconstitué le puzzle, on n'y comprendra rien et notre triangle restera aussi utile qu'une chaussette orpheline ! Toi qui es si fort, tu saurais où retrouver les pièces manquantes de l'étoile ?

- Non, répond le génie, mais je vais me renseigner. Je ne te garantis rien.

Pendant qu'il se concentre sur son ordi, je rode dans le salon, caressant la tranche des livres innombrables alignés sur les étagères, humant ce parfum douceâtre si typique du vieux papier. Parfum, papier, parchemin, papyrus... Inconsciemment, ces associations me ramènent aux rouleaux manuscrits de la cavité cachée dans la caverne peinte, et que le frère Zacharias a emportés avec lui. Si seulement je les avais gardés ! John aurait pu déchiffrer ce qui y était écrit, vu qu'il connait le grec ancien, et on aurait peut-être tout compris ! Une bouffée de frustration m'envahit et une envie subite d'épiler intégralement le moine au caramel me prend. L'image me fait rire et John s'interrompt pour me demander la cause de mon hilarité. Quand je le lui explique, il prend une mine terrorisée :

- Le supplice du caramel... Je ne te savais pas aussi sadique ! Promets-moi s que si un jour tu es fâchée contre moi, tu ne m'épileras pas !

Bien sûr que non. Et je ne vois pas comment il pourrait me fâcher. Mais l'idée de l'avoir à ma merci, allongé presque tout nu devant moi, provoque des picotements délicieux dans tout mon corps. Vite je chasse de mon esprit cette idée aussi incongrue qu'inconvenante, et je reviens sur ma préoccupation principale : les rouleaux manuscrits. Si seulement j'avais un moyen de les subtiliser, sans me faire attraper par frère Zacharias !


Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant