Chapitre 15

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Des éclats de pierre volent autour de nous tandis que nous exécutons un saut prodigieux pour franchir le sommet du mur d'enceinte. Je cours comme une dératée à la suite de John dans les rochers et le sable, en direction des arbres situés en contrebas. La pente s'accentue et nous mène vers des à-pics rocheux pas très rassurants. J'entends des pas de course se rapprocher et je lance un appel au secours muet à la lune, étroite et effilée comme le poignard des Haschischin, les assassins perses du XIe siècle. Si seulement j'avais une arme ! Et si je savais m'en servir ! En silence, John me montre une direction tandis qu'il en prend une autre. Je cours, je zigzague entre les arbres et les rochers, perdant peu à peu mon avance dans ce terrain si accidenté. J'entends un poursuivant tout proche qui crie d'une voix essoufflée :

- Arrête de courir, ou je vais t'exploser les jambes !

Emportée par mon élan, je n'arrive pas à stopper ma course. Les détonations derrière moi font éclater branches, rochers et cailloux autours de mes pieds. J'espère que John a réussi à s'en tirer. Je sens des larmes monter malgré moi dans mes yeux et brouiller ma vue. J'essuie rageusement mes paupières quand je crois apercevoir une ombre blanche se dresser devant moi. Terrorisée, je pile pour ne pas la heurter quand je reconnais la jument blanche, la fille de la lune ! Instinctivement, j'empoigne sa crinière d'une main et je bondis sur son dos. Sans que j'aie besoin de le lui demander, la jument m'emporte au triple galop à travers ce territoire qu'elle connait si bien, semant mes poursuivants.

Je crois être tirée d'affaire quand le faisceau lumineux des phares du 4x4 qui s'est lancé à notre poursuite découpe des ombres menaçantes au travers des branchages. Les hommes d' Hannibal n'abandonnent pas leur proie de la sorte ! Comment pourrai-je leur échapper une fois qu'on sera en terrain découvert ?

Droit devant se dessine un serpent lumineux, je reconnais l'autoroute du désert, et la jument se dirige dessus ! Je me redresse, et lui enjoins de ralentir, mais elle couche les oreilles et accélère encore son allure, dévalant la pente et projetant derrière elle des tourbillons de cailloux et de poussière. Le 4x4 nous a repérées et il se rapproche dangereusement.

- Amira, je t'en supplie, arrête-toi !

Elle refuse de m'obéir et poursuit sa course vers l'autoroute, les naseaux dilatés par l'effort. Je pourrais tout arrêter et la préserver de la rage de nos poursuivants, qui n'hésiteraient pas un instant à l'abattre. Je pourrais sauter du dos d'Amira et me rendre, ce qui lui laisserait une chance de s'en tirer. Mais j'ignore pourquoi, je choisis de faire confiance à la volonté farouche de ma jument. J'enlace son encolure, je me musse dans sa crinière soyeuse et ferme les yeux, croyant ma dernière heure arrivée. Ou bien nous nous encastrerons dans des véhicules loin en contrebas, ou bien les armes des hommes de Hannibal vont nous déchiqueter !

Le 4x4 est tout près. Soudain je sens les muscles de ma jument se bander et elle s'élève d'un bond prodigieux. Quand j'ouvre les yeux, c'est pour découvrir que je suis toujours sur son dos, et que ma jument ralentit sa cavalcade pour faire demi-tour. Dans un terrible fracas de tôle et d'acier, le 4x4 de nos poursuivants s'est écrasé dans le profond précipice où Amira les a conduits, elle qui connait son territoire par cœur, elle seule qui pouvait franchir ce précipice en s'envolant tel un aigle royal. Je suis prise de tremblements de peur rétrospective, et en même temps d'une joie intense et indescriptible. Nous avons accompli, Amira et moi, Indiana Leyla Jones, le saut de la Foi !

Je caresse longuement Amira, qui prend en soufflant bruyamment le chemin de retour au monastère de Deir-el-Suryan. Mais comme à la première fois qu'elle m'avait guidée jusqu'aux abords de St Bishoy, elle s'arrête avant d'approcher de trop près des humains. Si elle pouvait parler, elle me raconterait son histoire. Mais au plus profond de mon cœur, je comprends que nos chemins doivent se séparer ici. Je mets pied à terre, doucement, et j'enlace tendrement l'encolure de ma princesse de la lune. Elle souffle une dernière fois dans mon cou, avant de reculer de quelques pas et de repartir d'un trot fier, la queue en panache et les oreilles dressées, en direction de son territoire sauvage...


Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant