Chapitre 3

165 13 0
                                    

La nuit commençait à tomber et la pénombre enveloppait les rues précaires du quartier de tante Latifa; pas un chat rôdait, pas un rat détalait au son de mes pas furtifs et graciles. J'étais de corvée afin de jeter la poubelle et apporter un plat de lentilles à Yasmine la voisine de tante Latifa. Yasmine est une jeune veuve de vingt-cinq ans, et vit seule avec son bébé depuis six mois. Son époux est mort poignardé par trois commando de l'armée Israélienne, pour avoir refusé de leur donner en rançon Yasmine. Adnan était un brave homme, et ce dernier a préféré sauver l'honneur de sa femme au péril de sa vie. Sans famille, sans parents, tous disparus eux aussi, Yasmine a choisi d'élever son enfant seule par l'aide d'Allah. Elle répète toujours "la foi est la base d'une éducation, la foi est un pilier sur lequel il faut fléchir quand le monde autour est en train de mourir". Sa phrase est un véritable déclic à qui veut être heureux dans sa vie, mais elle poursuivait très souvent son dicton par le verset deux de la sourate al Anqabut, "l'araignée", "Est-ce que les gens pensent qu'on les laissera dire : "Nous croyons!" sans les éprouver?" et ce verset donnait espoir, faisait revivre la lumière des cœurs et réchauffait les plus démunis, car la promesse de Dieu est certes, meilleure. 

Yasmine m'a ouvert la porte, le sourire éclatant, les traits tirés.

-Salam Aleykoum Yasmine, tu vas bien ? Lui ai-je demandé.

-Aleykoum Salam, euh oui par la grâce de Dieu tout va bien. Tu es venue seule ? Où sont tes parents?

-Chez tante Latifa, nous lui avons rendu visite. Elle t'envoie ce plat de lentilles. Cyrine va bien ? 

-Oui. Merci.

Yasmine a arraché le plat de mes mains qui a manqué de tomber à la renverse, et m'a fermé la porte au nez. Ses mains étaient moites, tremblantes, elle semblait apeurée, blême. Je suis restée dix minutes plantée là comme un merlan frit, l'air hébété ne sachant que faire, mais il fallait rentrer ce n'était pas prudent de rester dans ce quartier seule. J'ai pressé le pas, mes pantoufles étaient trouées et j'avais les orteils glacés, la semelle était arrachée et claquait contre le sol et j'ai dû les enlever, j'avais peur, j'avais froid, il ne faut pas réveiller les soldats et la maison de tante Latifa est à deux ruelles de chez Yasmine.

Pendant que j'accélérais, boiteuse sur le gravier gelé et rocailleux, j'aperçu une ombre qui enveloppait la mienne, je ne voulais pas me retourner, je n'avais pas envie de me retourner, je me suis dit que ce n'est qu'un mauvais rêve, l'ombre des décombres et cette détonation n'était peut-être qu'une barre de fer tomber sur le bitume.

Mais non. Ce n'était ni un rêve, ni un morceau de métal tombé par terre.

C'était un AK47 de type 2 qui a dévié de sa trajectoire qui était ma tête. Je ne bouge déjà plus, mes membres sont restés figés par la terreur. Derrière moi, une voix, qui braille en hébreu. Je ne comprends pas, cet homme ne parle pas ma langue. Puis, il lâcha un mot dans ma langue, une injure, qui me transperça le cœur.

-Sale chienne d'arabe ! Vous allez tous mourir ! Périssez-tous ! Vous n'êtes qu'une sale race d'arabe !

L'homme empoigna mes cheveux qui étaient dissimulés sous un tchador, et me donna des coups de poings qui s'enchaînaient. Je n'ai pas bipé d'un mot, je suis restée silencieuse, muette comme une carpe juive. 

Pourtant, je me laissais faire, mon corps n'était qu'un automate qui suivait le rythme étouffant de ses mains monstrueuses qu'il avait laissées soigneusement découvertes pour m'impressionner. Mais déjà mes yeux me brûlaient, le froid brûlait mon visage et les coups griffait mes joues griffées. Je sentais une liqueur couler sur mon visage défiguré, du sang peut-être. Mais je n'avais plus le temps de penser.

Combien de temps suis-je restée comme ça ? Où sont mes parents ? N'étaient-ils donc pas inquiets? Ce fracas dans la nuit n'éveillait-il pas des consciences ? Allai-je mourir? Allai-je vivre ? Est-ce que Dieu voit tout ça ? Est-ce qu'il entend mon attestation de foi ? 

Ashhâdu an la-ilLaha illaLah wa ashhâdu ana Muhâmmadan RassulaLah

Puis soudain, le noir.

Le néant.


Qamara from RamallahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant