Le soir, je me sentais perdue. Sans Jay, ma vie paraissait vide.
D'habitude, après une ou deux disputes, on se mettait tous les deux là, assis sur le canapé. Il mettait son bras autour de mon épaule d'un geste maladroit, peu naturel, mais moi ça m'allait. Il me disait qu'il m'aimait, je lui disais moi aussi. J'étais à peu près heureuse.
Avant tout ça.
Des images de Fabien, adolescent, refirent surface. Un garçon oisif, avec une touffe de cheveux bruns et des yeux peureux, quelques boutons. Je me rappelai même d'un jour où il c'était fait insulter de ''nul absolu'' par une autre fille de la classe, et d'un autre jour où il riait à une de mes bêtises. Ce petit garçon, plus là, mort? Mon cerveau ne pouvait pas traiter l'information.
J'avais besoin de me rapprocher de cette réalité invraisemblable: sa mort.
Je pris vite ma décision: demain, j'irai voir la rivière. Le ''lieu du crime''... j'eu un frisson glacé. Demain.
Mais au bout d'une trentaine de minutes devant une série télévisée minable, je ne tenais plus.
Il fallait que j'y aille. Comme un revitalisant, j'avalai une tasse de café bien chaude et m'habillais pour affronter le froid.
Le chemin jusqu'à la rivière me paru interminable.
Quand j'arrivai enfin au bout de la rue, je n'eus qu'à traverser la route et à me pencher par dessus le petit mur. D'en haut, je voyais tout. Les cailloux aux couleurs chaudes, les nuances sombres de la rivière dans la nuit. Je plissai les yeux.
Je le vis. Ce petit carré de sable et de cailloux, ce petit endroit inaccessible à première vue, dans cet endroit normalement paisible. Je les vis, ces marques du passage des enquêteurs. Une banderole sur laquelle était marquée ''police'', la trace de pneus sur les cailloux. Je l'imaginai, le petit garçon boutonneux abandonné là les yeux grands ouverts la peau fripée et des ecchymoses partout sur le corps . D'un coup, je sentis mes jambes se dérober sous moi.
***
Je me réveilla chez moi. Déboussolée, je m'assis et enfuit ma tête dans mes mains.
-Ah, Erica!
Je sursauta.
C'était Maelle, mon amie et presque-voisine ( elle habite à trois pâtés de chez moi). Petite, brune aux cheveux bouclés, elle est toujours là pour moi.
-Qu'est-ce que je fais là? dis-je d'une petite voix rauque.
-Tu t'es évanouie en pleine rue. Un mec t'a trouvé, t'a de la chance que ça n'ait pas été un pervers! Et tu a de la chance que je le connaisse, et que je lui ai parlé de toi.
Elle me fit un sourire rassurant:
-Il m'a appelé et je t'ai ramenée ici.
-C'était il y a combien de temps?
-Pas longtemps. J'ai même pas eu le temps d'enlever mon manteau!
Ma vue se brouilla de larmes. Quelque chose avait cédé en moi. D'habitude, je ne m'évanouissais pas aussi facilement, mais je n'avais pas dormi de la nuit et accepter la mort de Fabien avait été un choc.
-Maelle, il est mort!
Elle fronça le sourcils et me prit dans ses bras.
-Je sais. Ne t'en fais pas, je suis là moi, je ne te lâcherai pas.
Je restai quelques secondes dans cet état avant de reprendre un peu contenance. C'est alors que je lui parla de la disparition de Jay. Enfin, du fait qu'il m'évite, plutôt.
-Ah oui? C'est zarbi ça. Je veux dire, il a toujours été un peu chiant de ce côté là, à aller à droite à gauche sans prévenir, mais il t'appelle toujours.
-Oui, je sais... ça ne m'aide pas. Je sais pas comment faire.
-Tu es passée à son appart?
Je restai quelques instants sans mot. Pourquoi je n'y avais pas pensé? En réalité, je n'y étais jamais entré. Il passai le plus clair de son temps chez moi ou chez ses potes, et en dehors de ça on ne se voyait qu'au ciné ( fait assez rare).
Mais s'il n'y était pas, comment je ferais?
Maelle réussit à me persuader d'attendre le lendemain, car sans cela, j'y serais allée derechef. Je commençais vraiment à mal le prendre.
Maelle- alias Mae, en meilleure amie du monde, resta dormir dans mon trois pièces, sur mon canapé. Je n'aurai pas supporté de rester seule encore une seconde. Au moment de m'endormir, les images m'assaillaient, je m'imaginais trop de choses sur la mort de Fabien. Comment pouvait-on en venir à l'envie de tuer un être vivant?
***
Je me réveillai avec l'impression d'avoir passé une nuit blanche. La tête dans le brouillard, je roulai sur le dos et allumai mon portable.
Un message... Jay! Une foule d'émotions me traversent. Je me dépêchai de le lire, mais restai muette de stupeur. Jusqu'à ce que la colère monte.
"Il faut qu'on parle''
Je cligne plusieurs fois des yeux, des fois que j'aurai mal vu. Evidemment je ne me suis pas trompée. Je soupire. Alors c'est ça? Il va me plaquer, comme ça?
Avant de me mettre à chialer comme une madeleine, je lui réponds ''Ce midi, chez Maria's Pizza?"
La réponse ne se fait pas attendre:
"A ce midi"
Putain. La matinée va être longue.
Et elle l'a été. Maelle a halluciné quand je lui ai raconté pour Jay, et s'est empressée de me dire que de toute façon je méritai mieux, qu'il casse ou non. Oui, mais moi, je ne voulais pas être seule. Tout sauf ça...
Je m'occupai comme je pu durant la matinée, et mis une plombe à choisir ma tenue. Robe à fleurs un peu sexy, histoire de dire tu le regrettera mon vieux? Ou jean et pull, pour montrer, ou plutôt faire croire, que je m'en fichais de son avis. J'opta après environ 12 essais pour une robe noire moulante, un pull clair pour aller par dessus avec bien sûr des collants chauds et des bottines simples.
Le nez fourré dans mon écharpe, je pris le chemin pour le restaurant.
Bien vite, bien trop vite, la lumière chaude de notre pizzaiolo préféré apparut au coin d'une rue.
Je me demandai ce qui m'attendait.
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Jeux dangereux
Mystery / ThrillerErica Karm poursuit ses études dans un village tranquille, quand le corps d'un homme qu'elle croisait tous les jours est retrouvé dans la rivière... Fabien. Mais ce genre d'évènement n'était pas le premier qui lui arrivait. La mémoire ne se rappelle...