Jeux dangereux

Chapitre II

L'ombre s'approchai. Ce n'est qu'au dernier moment que je l'ai vue ce refléter sur la porte, et la voix retentit avant que je ne réagisse:

-Bonjour.

J'ai sursauté au son de sa voix et fait volte face. Un jeune garçon se tenait en face de moi - avec un beau berger australien tenu en laisse. Enfin, pas si jeune que ça. D'une tête et demie de plus que moi, il semblait avoir autour des 19 ans. Sa peau chocolat et ses yeux me rappelaient étrangement ceux de Tessa. Un doute me traversa l'esprit.

-Owen?

-Oui, c'est moi.

J'en étais sûre. Il lui ressemblait énormément, mais je ne le pensais pas aussi âgé. Puis je souris.

-Tu veux entrer?

Il avait l'air de ne pas trop savoir comment agir. Il désigna son chien, d'un geste de la tête.

-ça te dérange pas si il y a Wolfy?

-Non, pas du tout. Mon oncle en avait un quand j'étais petite.

Il me sourit en remerciement et entra.

A ses aises- mais cela ne me dérangea pas- il déposa son manteau sur la chaise de la salle à manger. Il s'accroupit, caressa affectueusement son chien et le détacha. Wolfy gambada trois secondes dans mon minuscule appartement puis s'allongea sagement.

-Il est adorable, commentai-je.

Il eut un grand sourire; ce chien devait être sa fierté.

-Oui. Ma mère et moi on le bichonnai comme un roi.

Je grimaça. Je ne savais pas si je devais lui présenter mes condoléances. Il devait en avoir marre que tout le monde le lui dise, avec ce petit air de pitié qu'on tous les gens dans ce genre de situation.

-Désolée, dis-je quand même.

Il eut un temps d'arrêt, son sourire s'effaça doucement.

-Toi t'y est pour rien. Le salaud que t'a vu en revanche...

Il planta son regard dans le mien, et j'y lu toute sa colère et sa rage. Je devinai une longue série de questions sur cette nuit là. ça ne rata pas:

-Raconte, qu'est-ce que t'a vu?

-Pas grand chose. Juste un sweat noir, il avait mis sa capuche. J'étais un peu trop paniquée pour faire attention... mais...

-Oui?

Il m'écoutai avec avidité.

-Je crois avoir vu des rangers avant qu'il ne frappe ma tête contre le béton. Des rangers marrons... je ne l'ai pas dit à la police, parce que je ne suis vraiment pas sûre du tout. Garde ça pour toi s'il te plait... si jamais je me suis trompée...

Cela me soulageai de dire à voix haute le soupçon qui me taraudai. Quand je me revisualisai la scène, j'avais l'impression de voire une tâche marron, et ses contours ressemblaient beaucoup à ceux de rangers.

J'allai dans la cuisine me préparer quelque chose de chaud.

-Tu veux du café?

-Non, merci. Par contre je veux bien un chocolat chaud si ça te dérange pas... avec de la cannelle.

Il me fit un petit sourire contrit, et je compris toute suite pourquoi Alexis avait parlé de lui comme d'un ''gamin''. Il avait un physique de sportif, mais entre le chocolat chaud et le regard adorable il me faisait penser à un enfant.

Pendant que je m'affairai, il me demanda:

-Donc, ce serait plutôt un homme?

-Pourquoi tu dis ça?

-Des rangers, c'est plutôt un truc d'homme je trouve.

Il m'aida à transporter les tasses brûlantes jusqu'à la table.

-Mouais, mais c'est peut-être ce qu'il ou elle veut nous faire croire.

-Tu crois vraiment que le tueur( ses yeux devinrent noirs quand il prononça ce mot) c'est cassé la tête à choisir des chaussures pour tromper les gens?

Je ris.

-Oui, c'est vrai. Je cherche peut-être un peu loin.

-Peut-être, rit-il.

Comme je portai la tasse à mes lèvres, je le vis devenir mélancolique.

-On a dû te dire ça des millions de fois, mais si tu a besoin d'aide je suis là.

Il eut un petit rire sans joie.

-Oh ça, on me l'a dit pleins de fois c'est sur. Mais il y a pas beaucoup de gens qui le pensent.

A ce moment, je me sentais plus désolée pour lui que pour quiconque. Je pense qu'il aurait largement préféré se faire agresser à ma place plutôt que de perdre un être cher.

Et moi, qui m'étais cher?

Je revins au sujet:

-Et toi, est-ce que t'a une idée sur ce qui c'est passé?

-J'attendais que tu me le demande. Ma mère était du genre à s'attirer des ennuis. Quand j'avais environ 15 ans, elle sortais avec un mec nommé Brandon. Un tocard tout le temps bourré. ça a duré un moment avant qu'elle le largue, et il est plutôt violent, tu vois. C'est pour ça qu'on avait déménagé ici. Mais ma mère m'a dit qu'elle l'a vu trainer dans le coin, et ça l'inquiétait. Elle était sûre qu'il nous avait retrouvés.

Je fronçais les sourcils; c'était plutôt inquiétant en effet.

-Quand est-ce qu'elle t'a dit ça?

-Il y a cinq jours. Le jour où elle faisait les courses.

-Ah oui... Et... ça lui est déjà arrivé d'être violent avec toi?

-Brandon?

Il détourna les yeux.

-Ouais, avoua-t-il.

Je n'allai pas plus lin à ce sujet, je le sentais mal. Mais les violences étaient le genre de choses qui me révoltaient, et on ne devait pas prendre ça à la légère.

Il releva ses yeux pleins de colère sur moi:

-Mais tu sais ce que la police m'a dit quand je leur ai expliqué ça? Qu'ils allaient ''vérifier cette piste'', c'est tout. Ils avaient l'air de s'en foutre de ce que je leur avait dit. ça m'énerve!

Il serrai le poing.

Je voulais lui dire que je pouvais en toucher un mot à Alexis, mais je me brûla la langue avec mon café. Les larmes aux yeux, je gémis en lui faisant signe que c'était chaud. Au moins, cela le refit sourire.

Puis un petit bip retentit, et il sortit un blackberry de sa poche. Le message avait l'air de le contrarier.

-Il faut que j'y aille, dit-il en se levant. Wolfy?

Le chien vient aussitôt pour qu'il le rattache. Quelle petite merveille, pensai-je.

-Tout va bien?

-Ouais, répondit-il. Il faut que j'aille voir un pote il a besoin de moi. Mais merci beaucoup pour le café, et d'avoir bien voulu parler avec moi.

-ça m'a fait plaisir. Il y a des trucs que je voulais savoir moi aussi.

Au seuil de la porte, il me parla une dernière fois:

-Au fait, euh, je pourrai repasser de temps en temps? dit-il timidement. Il y a pas beaucoup de gens qui savent... enfin qui comprennent, pour elle...

-Oui, y a pas de souci, souris-je.

-Super.

Je caressai Wolfy, qui agita la queue avec plaisir.

-Au revoir Wolfy!