Chapitre V

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Je saute pardessus la branche. Nous sommes dans la forêt, à la rivière où papa allait pécher avant qu'il ne parte.

-Allez, Erica! Allez! m'encourage Zephir.

Mon frère jumeau est rapide comme le vent!

Je regarde ses cheveux blonds, ses yeux bleus pétillants. Il est plutôt fin mais il a une force et un courage incroyable. Normalement, je suis née quelques minutes avant lui mais il a toujours été le préféré de maman. Mais bon, c'est mon préféré aussi. Avec lui, je peux faire des bêtises sans que personne me gronde.

-Allez, allez!

-Tu es trop loin! Je peux pas!

Il est très énervé, mais je ne suis pas aussi courageuse que lui. Alors il saute d'une pierre à une autre, ses pieds effleurant l'eau.

-Me laisse pas! m'exclamai-je en pleurant.

Il fait semblant d'être toujours énervé, mais je vois bien que ce n'est pas le cas. Il revient sur ses pas, sûr de lui.

-Obrigado, ironisa-t-il (merci, en portuguais. Notre père etait portuguais et  Zephir a pris l'habitude de parler comme ça), c'est super d'avoir une sœur aussi froussarde!

Soudain, il va un peu trop vite. Son pied glisse sur une des pierres et je le vois tomber en arrière.

Il reste allongé, et je crois que sa jambe a pris un angle bizarre.

 Je l'appelle, encore et encore, mais il reste là à faire la poupée. J

e ne comprends pas, pourquoi est-ce qu'il ne se relève pas? Pourquoi est-ce que il ne se met pas debout et ne tire pas sur mes tresses en disant ''je t'ai bien eue, froussarde!''. Il aimait bien faire ce genre de jeux.

Mais pourquoi il ne pars pas avec moi en me prenant la main...

Je cours. Je vais chercher maman. Quand je reviens avec elle, je vois qu'elle ne comprend pas non plus pourquoi il joue à la poupée immobile.

Elle cours vers lui, ses pieds se mouillent dans l'eau de la rivière. Elle crie, elle l'appelle elle aussi.

"Je l'ai déjà appelé, il ne répond pas! Dis lui de se relever maman."

Elle me jette un regard  méchant.

Elle le prend dans ses bras et je crois qu'elle n'est pas bien, elle a l'air malade. Lui aussi. Quand je la vois avancer sur les pierres de la rivière, elle gémit. 

Puis  soudain elle le prend contre lui et Maman éclate en sanglots. 

''Mon bébé!"


PDV medecin, de nos jours

-Erica?

La patiente ouvre les yeux. Quelle tristesse, elle est si jeune...

-Erica est là? répondit-elle.

-Augmentez la dose de neuroleptiques, Karen.

La femme en blouse blanche s'éclipsa quelques minutes pour prendre les cachets.

-Comment vous sentez vous?

Erica cligna des yeux plusieurs fois.

-ça va. Mais Erica n'est pas la...

''Il'' la chercha des yeux:

-Vous racontez n'importe quoi.

Oui, quelle tristesse.

Karen revint et remplit un verre d'eau pour Erica.  Celle-ci fixa le verre d'un air vide.

-C'est quoi ces machins?

-Du Zyprexa, répondit le médecin. C'est pour que tu ailles mieux.

-Je suis pas malade.

-Si, tu l'es, fais-nous confiance... Ecoute, euh, Zephir, c'est ça?

Erica acquiesça:

-Oui, c'est moi.

-Il faut que tu laisse Erica tranquille.

-C'est de sa faute! Il faut la punir.

Erica prit le verre que lui tendait Erica:

-Obrigado.

-Mais... (il échangea un coup d'œil prudent avec Karen). Elle ne méritait pas que tu tue autant de gens autour d'elle, tu ne crois pas?

Elle- ou il- haussa les épaules.

-Je voulais qu'elle ait peur. Comme moi. C'est bien fait, et puis je m'en fou de toute façon. Tout à l'heure, vous m'avez peut-être coincé juste à temps. C'est vrai. Mais dès que le pourrais, je réessaierai.

Je frissonne discrètement. Ce Zephir me donne la chair de poule. Il n'y a même pas deux jours, alors que Erica se trouvait dans cette même chambre, encore inconsciente de son état, il était venu. Avec un couteau de son plateau il avait tenté de lui saigner les poignets.

Mes yeux se bloquèrent sur les poignets bandés de ''Erica-Zephir''.

Le diagnostique du psychiatre avait été simple. Schizophrène potentielle, la mort de son jumeau avait déclenché la maladie. Partout où elle allait, Erica -sous la mentalité de Zephir- cherchait à se punir elle-même de l'accident de son frère.

-Eri... pardon, Zephir, j'ai beaucoup de choses à t'expliquer. Tu va devoir prendre ces médicaments tout le temps. Et participer à des thérapies individuelles et groupées. Comme ça, après, tu ira mieux.

Karen fit signe à la psychiatre d'entrer.

Nous entrons dans la phase difficile. Faire prendre conscience du malade de sa condition.



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