Laisse le feu brûler la glace (TERMINÉ)

PARTIE 1. Préface

Dans la fraîcheur de cette nuit de novembre 1790, à Hampstorm[1] une petite bourgade située dans le Nord-Est de l'Angleterre, l'éclat de la pleine lune révélait un sentier souillé de cadavres encore chauds, menant directement à la chaumière qui se trouvait sur les bords extérieurs du village. Les corps d'hommes et de femmes intacts et les visages figés dans l'effroi des ces neuf victimes, laissaient supposer que les pauvres bougres, à l'instar d'autres villageois morts ces derniers jours, étaient tous décédés des suites de crises cardiaques provoquées par une peur extrême. Cependant il n'y avait pas moyen d'en être sûr, étant donné que le seul médecin du coin capable de pratiquer une autopsie, était le premier à avoir trouvé la mort.

Cette maisonnette retirée à la limite de la forêt et vers laquelle s'orientait la piste de cadavres, appartenait à Hannah Grant : jeune femme orpheline depuis quelques années, déjà. La maladie avait d'abord emporté sa mère adoptive huit ans plus tôt, avant d'avoir eu raison de son père, cinq ans après. Les parents d'Hannah qui n'arrivaient pas à avoir d'enfant, avaient tant prié pour que le miracle s'accomplisse. Jusqu'au jour où ils furent entendus. Ils avaient alors trouvé la petite qui n'était qu'un nourrisson, au cœur des bois. Cela ne pouvait être une coïncidence.

Aussi, pour éviter une polémique au sein du hameau, Madame Grant avait simulé la grossesse d'Hannah. Vivant en retrait du voisinage, ils avaient réussi à duper tout le monde. Malgré quelques suspicions au début, mais qui s'étaient très vite dissipées en raison du bonheur intense de la petite famille.

Or cette nuit la supercherie allait prendre fin. Hannah savait ce qu'elle était, car ses parents adoptifs le lui avaient expliqué. Mais peu leur importait la façon dont elle avait trouvé la vie. Hannah était peut-être l'œuvre du diable, elle ne lui appartenait pas. En outre, elle était complètement dévouée à Dieu. Elevée dans l'amour, elle n'avait jamais fait usage de ses dons et n'avait jamais pratiqué la sorcellerie.

Alors que dehors le chahut des villageois était au sommet de sa violence et qu'il se rapprochait de la maison d'Hannah, la jeune femme se réveilla seule dans son grand lit, surprise de ne pas sentir la présence de son époux à ses côtés. Ses appels qui s'adressaient à son bien-aimé, se confondaient avec le boucan qui régnait à l'extérieur de sa modeste demeure. S'emparant du tisonnier près de la cheminée, elle rapporta quelques braises encore existantes à sa chandelle pour l'allumer, puis elle se dirigea vers la sortie afin de connaître la source de toute cette agitation.

Malheureusement à peine eut-elle franchi le seuil de la porte, qu'elle se heurta au corps inerte d'un homme qui la fit trébucher. S'appropriant de nouveau la bougie qu'elle venait de lâcher, elle ramena l'éclairage près du visage de celui qui était étendu sous ses jambes. Il s'agissait de son conjoint, William. Tout d'abord horrifiée, elle eut un mouvement de recule, avant de revenir vers le lui.

- Will..., non ! Will, réponds-moi.

Hannah avait beau le secouer en hurlant son nom, le jeune homme ne montrait plus aucun signe de vie. Prenant conscience de la triste réalité, des larmes embrumèrent ses yeux et de petits sons étouffés parvinrent à s'échapper de sa bouche, avant de se transformer en véritables cris déchirants. Elle resta ainsi sur le seuil de sa porte, jusqu'à ce que ses pleurs ne se perdent dans la clameur de la populace en colère qui l'avait rejointe.

- Hannah Grant, levez-vous sans geste brusque !

Celui qui l'avait interpellée, n'était autre que Thomas Tanneur : petit fils de l'un des pères fondateurs du village. Il était aussi le représentant de cette collectivité.

- Regardez ce qu'elle fait à ce pauvre garçon. Cette fille est une sorcière. Je vous l'ai toujours dit : ses parents ont supplié le diable pour l'avoir et ensuite elle les a tués, intervint l'un des villageois.