PARTIE 3. Le démon de glace

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Londres 1890 :

Afin de préserver une fois de plus son identité, William allias John Bradford, ne se présenta pas à la plus importante banque de Londres comme le neveu héritier Bradford, mais comme un autre homme d'affaires américain du nom de Jared Lewis. Etant donné que l'argent pouvait tout acheter, il s'était offert une identité supplémentaire au marché noir.

Après avoir rencontré Dorothy Watson, la première jeune femme sur la liste, et s'être rendu compte que toutes les infortunes de la malheureuse étaient simplement dues au fruit du hasard et qu'il ne s'agissait aucunement d'une sorcière, il avait vite reporté son attention sur le cas de la suivante : Victoria Marshall.

Le père de cette demoiselle de dix-neuf ans, occupait un poste de conseiller financier dans l'un des meilleurs établissements bancaires de la ville. Ce qui était une aubaine pour Jared qui demanda à être reçu par ce monsieur pour la gestion de ses biens. Son but étant de se rapprocher de la famille afin d'en savoir plus sur la fille adoptée. Ce fut avec une grande facilité qu'il obtint ce qu'il désirait et même mieux encore. Monsieur Marshall, ébloui par le charisme et l'intelligence de l'homme de pouvoir qui se tenait face à lui, se mit dans la tête qu'il ferait un bon parti pour sa fille. Sans compter qu'il était sûr à cent pour cent que Victoria serait séduite, ne serait-ce que par le physique très plaisant de Jared Lewis.

Avec cet aspect de grand brun ténébreux et son regard enchanteur difficile à soutenir qui était relevé par des yeux tirés en deux fentes rectangulaires de couleur marine, il n'avait jamais eu de mal à charmer une femme. C'est ainsi que le banquier lui confessa l'existence de sa jolie fille célibataire qui était en mesure de lui faire visiter la ville. Voyant le coup venir, Jared sauta sur l'occasion. Il décrocha donc un rendez-vous avec la demoiselle, sous l'allure d'une simple visite touristique, dès le lendemain après-midi.

Pour ne pas perdre de temps, Jared se mit en chasse de sa troisième potentielle proie, juste après son passage à la banque. D'après les informations qu'il avait réussi à récolter sur Abigail Richards, au passé secret d'enfant qui avait été sauvée par des loups, elle suivait des études d'astronomie dans une petite section de la faculté scientifique. Il était peu commun pour une femme de choisir une telle discipline, à l'époque.  Elle était donc une avant-gardiste.

Agée de dix-neuf ans tout comme Victoria et de nouveau orpheline depuis deux années déjà, elle vivait dans une grande maison avec une femme de charge et un homme à tout faire qu'elle connaissait depuis son enfance. Ses parents étaient partis en mission d'aide humanitaire en Europe, mais n'étaient jamais revenus. Elle avait été avertie de leur décès par courrier. Puis, quelques jours plus tard, elle avait reçu une seconde lettre l'informant qu'elle avait hérité de la maison et d'une copieuse somme d'argent lui offrant la possibilité de continuer confortablement son mode de vie, tout en poursuivant les études qu'elle avait choisies.

En ce début de soirée du mois de Janvier 1890, la nuit était complètement tombée sur Londres. Jared put donc compter sur cette obscurité crépusculaire pour épier en toute discrétion, depuis un coin sombre de l'autre côté de la rue, la sortie de la faculté d'astronomie d'Abigail Richards. Etant la seule femme de l'unique et petit bâtiment qui dispensait ces cours, elle ne pouvait être difficile à repérer. Le démon qui s'était procuré sans mal l'adresse de la jeune femme, aurait pu directement aller sonner à sa porte et inventer n'importe quelle histoire pour justifier le dérangement. Ainsi en une simple rencontre, il aurait réussi à déterminer la nature surnaturelle ou non d'Abigail en l'ayant en face de lui. Mais il avait opté pour une approche plus furtive : l'espionnage. Tel était son mode opératoire préféré.

Avant d'avoir pu l'apercevoir, le nom de Richards s'éleva depuis la petite salle de cours de laquelle se libéraient tous les autres étudiants masculins. L'un d'eux semblait attendre la jeune femme qui était restée à l'intérieur pour s'entretenir avec le professeur qui l'avait interpellée, alors que les autres parlaient de se rendre dans l'un des cafés[1] du coin.

Lorsqu'Abigail rejoignit enfin le patient jeune homme qui l'avait attendue et qui dès lors, la regardait s'avancer vers lui comme si elle était la huitième merveille du monde, la même sensation d'émerveillement traversa brièvement l'esprit de Jared. Toutefois, contrarié par ce trouble qu'il n'avait jamais ressenti auparavant, il se ressaisit rapidement. Il est vrai qu'Abigail était très belle avec ses jolies bouclettes blondes relevées par une pince, sa silhouette enchanteresse et ses yeux verts envoûtants qui viraient à la couleur de l'or, mais au cours de sa vie, Jared avait fréquenté des tas de femmes très attrayantes. Les unes pour satisfaire ses besoins physiologiques, les autres : des sorcières, qui lui avaient permis de garder le contrôle sur la bête meurtrière qui sommeillait au fond de lui. Il n'attendait de ces relations, ni plus ni moins que ce à quoi elles étaient destinées. Les cœurs qu'il s'appropriait le dispensaient de tuer, mais en aucune façon, ils ne pouvaient lui faire éprouver de la compassion pour qui que ce soit ou pire encore, lui faire ressentir des sentiments amoureux. Jared était un démon et il demeurerait éternellement de glace face à toutes ces faiblesses humaines.

De toute façon, la fréquentation avec Abigail Richards n'avait pas lieu d'être. De là où il se trouvait, il eut tout le loisir de se rendre compte que la belle créature ne dégageait rien d'autres que des essences humaines. Elle n'était pas ce qu'il recherchait, il fallait absolument qu'il se trouve une sorcière et il n'avait pas le temps pour autre chose. Tout compte fait, les échos concernant le passé de cette demoiselle étaient bel et bien des ragots.

Son dernier espoir reposait donc dès lors sur Victoria, la fille du banquier. Il lui fallait attendre jusqu'au lendemain pour savoir si cette dernière correspondait à ses attentes. Sachant qu'il ne tiendrait pas jusque-là, il se mit en tête d'aller se poster devant la maison des Marshall et de s'infiltrer à l'intérieur durant une heure avancée de la nuit quand toute la famille dormirait. Cependant avant de se faire, il tint absolument à épier la conversation entre la séduisante humaine Abigail et son admirateur. 

[1] Au 19ème siècle, les cafés anglais étaient des lieux de rassemblement, au public exclusivement masculin, où les hommes pouvaient échanger des discussions intellectuelles sur tous les grands sujets : politique, religion, art...etc.

FIN DE LA PARTIE 2.


















Laisse le feu brûler la glace (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant