La fille de l'air (3)

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- Je ne peux pas me marier. Ma sœur est sûrement morte et mon père a compris que c'était moi la véritable maudite. Il veut que je rentre pour m'enfermer.

- Comment pouvez-vous en être sûre ?

- Est-ce que vous connaissez le nom du prince que je suis censée épouser ?

Il s'arrêta un instant pour réfléchir. Il avait l'air embarrassé.

- Non.

- Je pars. Faites ce que vous voulez.

- Je vous suis.

- Non, ce n'est pas possible.

- Très bien, mais dans ce cas, je reste avec vous.

Il ne voulut pas en démordre. Ara tenta de le convaincre, en vain. Il disait qu'il ne la forcerait pas à rentrer, mais qu'il ne pouvait pas non plus la laisser courir la campagne comme ça toute seule. Il ne retournera pas auprès de son père, il ne lui dirait jamais qu'il l'avait trouvée. Il se faisait clandestin, mais clandestin avec elle. Il était prêt à aller jusqu'à tuer des hommes de son père pour effacer leurs traces. De toute manière, même s'il rendait compte honnêtement de la situation, en disant qu'il n'avait pas réussi à la convaincre, il serait sûrement recherché aussi. Traqué aussi.

- Pourquoi ? La faute est seulement la mienne.

Il ne répondit qu'en demandant une fois encore de le laisser la suivre. Fatiguée de cette discussion, et voyant bien qu'elle n'arriverait pas à le perdre avec des mots, elle accepta.

Ainsi donc, ils déménageraient ensemble. Ara devait quitter la ville au plus vite et trouver un moyen de perdre ceux qui suivaient cet agaçant envoyé de son père, même s'il affirmait être de son côté. Ils devaient être discrets. Ce qui voulait dire que laisser voir leurs pieds en marchant dans le ciel n'était pas possible. Ceux qui les suivaient devaient sûrement savoir ce que ça voulait dire, ce qui les rendait extrêmement facile à suivre. Ils firent route par les bois. Ara ne savait pas trop où aller, mais elle avait dans l'idée de trouver un coin perdu dans la forêt où elle serait à peu près sûre que personne ne viendrait la chercher. Mais en attendant, il lui restait encore à se débarrasser de l'idiot qui la suivait.

- Au fait, comment vous vous appelez ?

-Éni.

- Enchantée, Ara.

- Mais...

- Je sais, ce n'est pas mon nom de baptême. Mais aujourd'hui, c'est Ara, point final.

- Très bien...

Un silence de plomb suivi. Ara ne le supportait pas, elle ne pouvait plus le voir. Eni le savait, mais il ne voulait pas partir. Il avait une mission ; il ne pouvait pas la remplir, il le voyait bien, mais il espérait toujours que ce serait possible plus tard, quand elle serait dans de meilleures dispositions. Il se disait qu'un jour, il aurait sa chance et qu'il réussirait à la convaincre.

Au moment où il se faisait ces réflexions, une chose tomba d'un arbre. Sur son dos. Ara, surprise, se retourna brusquement. Elle était prête à disparaître, quant elle s'aperçut que la forme qui était tombée comme un fruit mûr n'était pas un homme de main de son père comme elle le pensait.

- Djou ! Qu'est-ce que tu fais là ?

Éni, qui se remettait, demanda qui était cette fille. Elle était bien plus âgée qu'Ara, brune, grande, et elle se promenait avec une cruche dont, à cause de son nom, il ne voulait absolument pas savoir le contenu. Elle avait aussi des sabres dans le dos. À première vue, elle avait l'air dangereuse, mais Ara semblait la connaître, et même plutôt bien. Elle l'accueillit à bras ouverts et lui offrit de marcher un peu avec elle, puisqu'elles semblaient aller dans la même direction. Toutefois, Ara n'avait aucune envie d'éclaircir la situation pour Eni. Elle lui imposa la présence de cette nouvelle amie pour la nuit suivante. Il se moquait bien de ne pas connaître les détails, mais se méfiait de cette inconnue. Elles discutèrent tout le long du trajet et le soir, une fois arrivés dans une auberge sur la route, elles continuèrent à se taper dans le dos en buvant comme des trous. Elles faisaient peur aux bûcherons du coin qui venaient boire un coup avant de rentrer dans leurs chaumières.

Éni finit par comprendre qu'elles voulaient parler. Sans lui, bien évidemment. Il fit semblant de les laisser et se dirigea vers sa chambre. Dès qu'elles pensèrent être sûres de ne pas être entendues de lui, il fit demi-tour et alla se cacher sur la banquette juste derrière elles. Il ne jouait pas les espions pour le plaisir : quelque chose chez cette fille n'allait pas et même si Ara avait l'air de lui faire confiance, lui s'en méfiait.

- Il est spécialement pénible.

- Et il te suit partout ?

- Oui. J'ai dû tout lui dire, ça me tue. Je suis obligée de déménager encore une fois, les sbires de mon père doivent être derrière lui, donc à mes trousses, pour changer.

- Et vous allez où cette fois ?

- Je ne sais pas encore. Je pense opter pour une balade à la campagne, ça fait longtemps que je n'ai pas respiré le bon air des champs.

- Quelqu'un veut te voir.

- Le même que d'habitude, je suppose ?

- Oui.

- Laisse tomber, je n'irai pas.

- Viens et écoute ce qu'il a à te dire. Ça te permettra d'éloigner les hommes de ton père un peu. De chez lui, tu pourras toujours repartir, rien ne t'oblige à rester.

- Je n'aime pas ton idée.

- Je ne suis pas la seule à penser ça, tu sais. Aller, viens, ça ne t'engage à rien ! Le vieux veut vraiment te voir avant de mourir. Fais-lui cette dernière faveur.

Éni ne comprenait rien. Qui était le vieux ? Où est-ce qu'elles voulaient aller ? Pourquoi faire ? Tout était obscur. Le reste de la soirée, l'inconnue continua à essayer de convaincre Ara de la suivre.

Le lendemain, Éni demanda innocemment, lorsqu'ils quittèrent l'auberge :

- Dans quelle direction allons-nous ?

- On suit Djou. Et pas de remarques.


La fille de l'air [Cycle 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant