Quand elle rouvrit les yeux, Ara était au centre d'une pièce circulaire, assez grande. Les murs, le sol, jusqu'au plafond, tout était de pierre. Les portes, certaines de bois, d'autres blindées, semblaient retenir les créatures les plus féroces. On entendait au loin des murmures inquiétants. Il n'y avait ni fenêtres, ni lumière. Des candélabres sinistres éclairaient faiblement l'endroit. Ara était assise sur un fauteuil, ses poignets, ses épaules, ses chevilles fermement attachés. Elle ne pouvait même pas se débattre.
De grosses larmes roulèrent sur ses joues. Des larmes de honte, de désespoir, de rage. Elle devinait déjà où elle était, qui l'avait emmenée et dans quel but. Elle s'était échappée une fois, mais ce serait la seule. Elle sentait l'humiliation se préparer, la souffrance était déjà dans ses os et une terreur indicible la tenait. Qu'avait-elle fait pour se retrouver dans cette situation ? Elle était née.
Alors qu'elle était plongée dans ses pensées, un homme entra brusquement. Il était imposant, mais l'âge pointait sur ses cheveux. Il était fort, mais il était vieux. Il s'approcha, mais le regard d'Ara lui glaça le sang.
-Pas la peine de me regarder comme ça, mademoiselle ! Et méfie-toi, même, c'est moi qui ai la manette de cette machine.
Et tout en parlant, il activa un mécanisme qui resserrèrent les liens autour des poignets d'Ara. Elle ne sentait plus ses mains. Mais son regard était toujours plein d'une haine si tenace que, la mort venant la chercher, elle l'aurait gardé jusqu'à son dernier souffle, et peut-être même au-delà.
-Vous m'avez l'air bien tenace... Tant mieux. On ne pourra pas dire qu'on ne vous aura pas fait payer votre petite escapade...
-Nous sommes donc bien rentrés... Je sais la distance que j'ai parcouru, mon père a dû laisser s'échapper un petite fortune pour me retrouver... C'est bien lui qui vous envoie, n'est-ce pas ? Tuer sa propre fille, et il affirme que c'est moi qui suis maudite...
-Ahaha, même dans cette position, elle essaie de me soutirer des informations... Et bien je ne t'en donnerai qu'une : tu ne mourras pas chez toi, nous ne sommes pas rentrés. Officiellement, la maudite est déjà morte, tu sais. Votre père notre roi ne peut pas se permettre de dire publiquement qu'il s'est trompé sur ce genre de choses... Alors on va en finir gentiment ici, et comme vous avez eu la bonne idée de fuir, on va faire croire que vous avez été attaquée par des brigands, comme une pauvre fille, et qu'ils vous ont tuée. Même si vous serez considérée comme la plus mauvaise fille du royaume pour ne pas avoir écouté votre père, vous aurez quand même des funérailles nationales, estimez vous heureuse. C'est votre sœur qui aurait du recevoir ces honneurs, pas vous...
À chaque mot, Ara sentait une colère de plus en plus irrépressible monter en elle. Visiblement, cet homme n'avait pas été bien informé. Son père ne lui avait pas tout dit.
-Alors maintenant, la chose est simple. Vous devez mourir. Mais ce serait trop simple si on ne vous en demandait pas un peu plus. Ce serait trop vite vous échapper. Je ne suis pas ce petit avorton qui vous a suivi jusqu'ici. J'irai au bout des choses, et je ferai en sorte que vous regrettiez ce que vous avez fait.
-Quel rôle a-t-il joué dans tout ça ? susurra Ara entre ses dents.
-Qui ?
-Eni ! hurla-t-elle. Qui d'autre ?
Sa colère était à son comble. Elle ne pourrait pas se retenir bien longtemps. Mais avant, elle devait savoir. Elle devait savoir si elle avait été trahie ou si elle avait été vendue.
-Ah lui ? C'est juste un idiot qui a parfaitement servi les plans de votre père. Il est arrivé un jour au château, et vous a demandé en mariage, comme ça, comme un mendiant demande sa bourse à son seigneur ! Tout le royaume savait que vous étiez partie. Lui aussi, il le savait. Il a soutenu qu'il voulait vous épouser. Alors, votre père a dit oui, à la condition qu'il réussisse à vous ramener, en lui disant, les larmes aux yeux, qu'il voulait voir le mariage de sa fille préférée, je vous passe le petit couplet, vous le connaissez... Comme l'autre idiot ne savait pas que vous étiez maudite, comme tout le royaume d'ailleurs, il a accepté, et a juré de vous ramener, ou bien de faire tomber sa tête ! Sans vous avoir jamais vue, n'importe quoi ! On en voit des fois... ils feraient n'importe quoi pour obtenir les miettes des puissants... Mais pourquoi je vous raconte tout ça moi ?! C'est moi qui pose les questions ici, et vous qui répondez ! Qui sait, peut-être que tu pourras vivre plus longtemps, en répondant correctement... ? Première question : as-tu forcé ta sœur à prendre ta place ?
-Non !
-Mauvaise réponse.
Des lames sortirent des liens qui la retenaient et lui pénétrèrent profondément dans la peau.
Ara n'en pouvait plus. Des sentiments contradictoires se mêlaient en elle, la solitude, l'abandon, la tristesse, mais celle qui dominaient toutes les autres était la colère. Elle avait cru Djou, le vieux, elle leur avait fait confiance ! et ils l'avaient trahie. Elle était partie parce qu'elle ne pouvait plus dormir, parce qu'elle ne pouvait pas mourir ! Le sacrifice de sa sœur, qui la hantait toutes les nuits, lui revint devant ses yeux. Elle voyait son visage se retourner, son dos disparaître... Elle avait goûté le cadeau de cette mort ; la liberté. Elle ne pouvait pas y renoncer.
-Et la seule personne de qui je me méfiais...
Elle ne sentait plus rien. Elle ne voyait plus rien. L'énergie qu'elle utilisait d'ordinaire pour courir dans les nuages s'amplifiait démesurément, à la mesure de ses sentiments. C'était plus puissant que son propre souffle, plus profondément ancré en elle que jamais. Elle se sentait une et mille à la fois, comme si son existence ne se limitait plus à elle seule. Elle sentait cette énergie en elle, hors d'elle. Elle ne pouvait plus la contrôler. Elle ne voulait plus la retenir. Rapidement, plus rien ne pût la contenir. Alors, Ara fit exploser sa colère.
VOUS LISEZ
La fille de l'air [Cycle 1]
FantasyAra aime courir. Elle aime courir dans les nuages. Malheureusement, ça ne peut pas toujours durer. [Terminé]