La fille de l'air [Cycle 1]

La fille de l'air (10)

Ara était fatiguée. Eni l'avait posée par terre, où elle avait glissé comme un sac de chair, vide, et elle l'écoutait, les yeux dans le vide. Le son de sa voix était la seule chose qui l'empêchait de perdre connaissance. Quand elle posait une question, tout son souffle y passait, et elle mettait dix minutes à s'en remettre.

-Je me demandais pourquoi une princesse voudrait bien s'enfuir de chez son père.

-Je te l'ai déjà dit ça... Je suis maudite... et puis les mariages arrangés, c'est génial comme concept... ça donne vraiment envie de rentrer...

-Oui, mais quelque part, je me voyais aussi en prince charmant qui venait te sauver... puisque que la richesse te faisait fuir, je me suis dit que la pauvreté t'intéresserait peut-être plus...

-Et du coup, tu m'as demandé en mariage ? Ah, la logique masculine...

-Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a d'illogique ? Tu me voyais, arriver à la cour de ton père et dire "bonjour monsieur, j'ai des pouvoirs surnaturels que j'utilise avec une facilité déconcertante quand vous avez mille peines à vous procurer un parchemin qui a un dixième de mes capacités. Voilà, je crois que votre fille a des pouvoirs magiques elle aussi, même si je ne comprends pas pourquoi vous le cachez à tout le monde, mais j'aimerais bien la rencontrer pour causer cinq minutes perception extrasensorielle parce que depuis mon enfance que j'ai passée dans les fins fonds d'un taudis, je ne rêve que de rencontrer quelqu'un comme moi !" Crédible, non ?

Ara trouva tout de même la force de sourire.

-Non.

-On est d'accord. La proposition du mariage, même si je suis passé pour un demeuré, a mieux fonctionné. Il m'a donné les moyens de te suivre.

-Mais, les nuages... comment ?

-Parfois, quand je marche, j'ai un peu la tête dans les nuages... et sans m'en rendre compte, il arrive que je m'y retrouve.

-Alors c'était... le hasard ?

-Une chance extraordinaire. Je n'ai pas eu le temps de bien te voir à ce moment-là, mais j'ai reconnu tes vêtements quand on s'est revus en ville.

-Pourquoi tu m'as pas dit tout ça... dès le début ?

-Tu m'imagines : "Excuse-moi, bonjour ! On ne se connaît pas, mais je sais que tu es comme moi, t'as des pouvoirs et tu peux pas en parler, mais à moi, tu peux ! C'est ton père qui m'envoie, mais tu n'as rien à craindre !"

-La proposition de mariage n'était pas plus alléchante...

-Ah ? Je croyais que...

-Non. Ne sois pas stupide.

-D'ailleurs à ce propos, Ara...

-Hm...?

-Je sais que tu n'es pas maudite.

Le regard d'Eni s'alluma d'une flamme particulière. On y sentait la conviction, la certitude. Il reprit Ara sur son dos, sans lui laisser le temps de répondre, lui ordonna de dormir et ouvrit un autre disque. Ils allaient bientôt arriver.