- Quand j'étais petit, ma mère vendait son corps pour me nourrir. Comme elle était devenue assez laide depuis ma naissance, souvent, les temps étaient durs. Moi, je trouvais ça normal, à l'époque, de manger tout seul. C'était normal, pour moi, qu'elle me regarder manger, le sourire aux lèvres, alors qu'elle devait avoir mille fois plus faim que moi. Maintenant je me rends compte que si je mangeais, c'était grâce à elle. J'ai abandonné cette femme qui a tout donné pour moi, cette femme qui frôlait la mort, de fatigue et de faim, pour que son petit enfant voie avec le sourire aux lèvres son assiette bien remplie. Je ne veux pas que vous faire pleurer sur mon sort, et je vous interdit de pleurer sur le sien : ce serait la rabaisser à un rang de pitié qu'elle ne mérite pas. Enfant, je ne comprenais pas. Toutes ces années, je n'ai rien fait, alors que j'en avais la possibilité. Quand j'ai entendu l'histoire d'Ara, j'ai cru que c'était elle que je devais aller sauver. Mais finalement, c'est grâce à elle que je suis ici, et que je découvre ce dont je suis réellement capable. Aujourd'hui, je suis ici, et pour moi, cet entraînement, c'est révéler ce que je suis. J'ai l'impression que tu es celui qui est capable de me faire devenir ce que j'ai envie d'être. Savoir ce dont je suis capable, c'est savoir qui je suis. Je veux devenir quelqu'un capable de ne plus dépendre de gens tels que ma mère, qui meurent pour moi. Je veux être capable de m'affirmer et de marcher tout seul. Et une fois debout, je veux lui rendre la pareille, et manger avec elle... Je veux aider Ara, parce que ce sera le premier pas. On sait tous qu'un corps sans tête ne marche pas droit. Ensuite, j'irai apprendre à ceux qui veulent comment marcher par l'imagination, pas par la domination. Tu peux croire que j'aie envie de prendre le contrôle du monde. Tu peux comprendre qu'il n'y a rien de plus triste que d'être au-dessus des autres... sans les autres.
Eni était resté assis. Il avait parlé calmement, sans élever le ton, sans pleurer, sans taper du poing. Il avait dit les choses comme elles étaient, comme il voulait qu'elles soient. Il regardait Nepos dans les yeux, sans froncer des sourcils, avec cet air naïf et naturel qu'il avait toujours sur le visage.
- D'accord.
Nepos leur soumettait tous les jours des exercices, toujours de plus en plus difficiles. Au début, ils résolvaient des devinettes. Trouver la solution, c'était avoir le droit de manger. Ara passa plusieurs jours à jeûner ; on ne lui avait jamais demandé de sortir des cases, elle avait du mal à se l'imaginer. Une fois les devinettes maîtrisées, un matin, il les lâcha dans un labyrinthe de son invention.
Eni essaya de se déplacer avec ses disques, mais s'il pouvait leur demander d'aller dans une direction, il ne voyait pas où il allait et ne n'arrivait pas à trouver la sortie parce que ces téléportations l'empêchaient de se repérer. C'est Ara qui, encouragée par les devinettes, trouva la solution la première. Nepos leur avait interdit de courir dans les nuages et pour être sûr que la consigne soit respectée, il avait choisi un labyrinthe qui avait un plafond.
Ara avait remarqué qu'elle se perdait parce qu'elle ne savait pas si elle était déjà passée par là ou pas. Tout se ressemblait et comme ils étaient entrés par un disque, non pas par l'entrée, impossible de « retrouver » leur chemin : ils ne l'avaient jamais emprunté. Alors, Ara, pour se repérer, décida de faire pousser de petites fleurs à certains carrefours pour s'y retrouver. Elle trompa ainsi Nepos qui croyait que c'était la première fois qu'elle faisait ce genre de choses.
Elle le rejoignit à la sortie du labyrinthe. Il avait ouvert un disque pour voir ce qui se passait à l'intérieur, sans être vu des gens qui étaient à l'intérieur, bien évidemment.
- Finalement, je m'inquiétais pour rien. Ce garçon n'a aucune imagination. Il va finir par mourir de faim là-dedans s'il continu comme ça.
Eni, effectivement, faisait pitié à voir. Il cherchait chaotiquement une issue, demandant simplement à ses disques de ne pas repasser par là où il était déjà passé. Il courait dans tous les sens, ouvrait quatre disques, en traversait un, prenait très peu de temps pour souffler. Plus le temps passait et plus il semblait pressé. Une sueur froide lui glissait sur le front. Il avait l'air angoissé.
- Mais attends...
Eni s'était assis. Il avait posé sa tête sur ses genoux et ses avait enroulé ses bras autour de ses jambes. On l'entendait respirer avec difficulté.
- Il nous fait une crise d'angoisse là !
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La fille de l'air [Cycle 1]
FantasyAra aime courir. Elle aime courir dans les nuages. Malheureusement, ça ne peut pas toujours durer. [Terminé]