La fille de l'air (15)

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Elle se réveilla en sursaut. Son front était couvert de sueur.

- Ça va ? Un mauvais rêve ?

- Ah... heu... oui, quelque chose comme ça. Attend un peu, je reprend mon souffle.

- Ça fait une semaine que tu dors. Tu es sûre que ça va ?

- Oui, je crois que j'ai trop dormi, ça m'a fait rêver de trucs bizarres...

Ara avait la tête qui tournait, elle ne sentait plus le lit sous ses jambes, elle n'arrivait plus à s'appuyer sur ses mains pour se mettre debout. Eni la retint avant qu'elle ne tombe et l'appuya contre le lui pour qu'elle ne retombe pas, le temps qu'elle retrouve ses esprits.

- J'ai l'impression que tu t'es décidée.

- Maudit rêve... Il a raison...

- Qu'est-ce qu'il disait ?

- Je ne peux pas te le dire. De toute façon, qu'importe ? Ça n'a aucune importance. Je vais écouter le vieux, je vais aller voir son petit-neveu ou je ne sais pas qui.

- D'accord, on partira quand tu te sentiras plus sûre de toi. Je pense pas que tu puisses te lev...

- Oh, je t'arrête tout de suite.

- Non, c'est moi qui t'arrêtes. Je ne t'ai pas demandé ton avis. Je ne t'ai pas dit que j'allais te suivre. J'ai dit qu'on irait ensemble, ce n'est pas tout à fait la même chose.

Ara avait retrouvé quelques couleurs. Eni s'était levé pour préparer quelques affaires. Le vieux leur donnait gentiment des vivres pour quelques jours et des vêtements plus propres. Eni faisait avec soin de petits paquets pour qu'ils ne les embarrassent pas. Un parfait homme à tout faire. Il pourrait se révéler utile, se disait-elle, et puis effectivement, s'il ne la suit pas... Elle avait deviné pourquoi lui aussi voulait aller chez ce petit-neveu. Il devait se demander pourquoi un fils de fille publique pouvait sauver la fille du roi en faisant ce que personne ne savait faire. Ara se demandait pourquoi est-ce que, dans les histoires, les héros étaient toujours mieux que tout le monde. Elle ne se sentait pas meilleure, Eni n'avait pas l'air mieux non plus. Il aurait pu se cacher dans une foule, et disparaître.

- Et si on y allait ?

Elle en avait assez de traîner. Elle se leva et sortit.

- Attends ! Si tu crois que je vais porter ton sac.

Le petit-neveu, apparemment, n'habitait pas loin. Il n'y avait qu'à suivre les traces laissées par l'âne ; le vieux y faisait souvent des allers-retours et, à force, il avait creusé un petit chemin.

- Alors comme ça tu t'es décidée ?

- Je peux pas attendre que cette situation se règle toute seule. Je dois faire quelque chose.

- De quoi tu rêvais hier soir ?

- Je rêvais que j'avais des règles abominablement douloureuses et abondantes.

- Oh, t'es dégueulasse...

- Je pissais le sang, c'était pas beau à voir.

- J'avais pas besoin de savoir ça !

- C'est toi qui as demandé...

Ça les avait rapproché ces histoires. Eni jouait les dégoûtés, mais si elle avait continué, il aurait écouté jusqu'au bout.

- Bon, et toi, qu'est-ce que que tu comptes faire chez ce petit-neveu ? Pourquoi on ne connaît pas son nom au fait ? Bref, même si t'apprends à mieux te servir de tes dons, à quoi ça va t'avancer ?

- Je sais pas... Je pourrai devenir mercenaire et bien gagner ma vie !

- Tu faisais quoi avant de quitter ta ville ?

- Je cirais des chaussures. Passionnant.

Ils discutaient gentiment lorsque quelqu'un tomba d'un arbre. Sur Ara.

- C'est pas sur moi, cette fois !

- Qui êtes-vous ?! Que faites-vous sur mon territoire ?!

Le type qui était tombé se relevait. Il tenait fermement Ara par le bras. Il était plutôt grand, brun, assez baraqué, mais il avait un air sérieux et motivé imprimé sur le front. Plus que cette expression, c'était aussi le fait qu'il montait la garde dans un arbre, sur un chemin que seul son oncle prenait dans une forêt déserte qui montrait l'espèce de zèle qu'il semblait avoir.

- Hm. Rien, on ne fait que passer. Lâchez-moi ! Vous me faites mal ! On va chez un petit-neveu, rendre visite, si vous voulez tout savoir.

- Un petit-neveu ? Quel petit-neveu ? Au milieu de cette forêt ? Vous vous moquez de moi ?

- C'est le petit-neveu du papi qui habite pas très loin. On lui apporte une galette et un petit pot de beurre.

- Oh, Eni, que c'est drôle... Et vous, lâchez-moi !

- Oh, oui, pardon. Tout de suite. Alors comme ça vous venez de chez mon grand-oncle ? Comment vous avez trouvé la maison ?

- Attendez attendez. Je sens qu'on va partir dans une histoire très longue, alors, avant, j'aimerais bien savoir votre nom. Pour arrêter de vous appeler « petit-neveu ». Ça va devenir compliqué sinon.

- Nepos.

- Nepos ?

- Non. Le s ne se prononce pas.

La fille de l'air [Cycle 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant