La fille de l'air (4)

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Ils avançaient à trois maintenant. Ils avaient repris leur route et traversaient une forêt. Les deux filles badinaient et Éni suivait bêtement, comme un chien suit un loup. Il aurait dû laisser Ara aux mains de cette fille et partir. Il aurait dû le faire parce qu'elle semblait être son amie et que lui n'était rien pour Ara. Mais il n'arrivait pas à se dire qu'elle ne risquait rien et sentait comme un devoir de rester avec elle.

C'était Djou qui les guidait. Ils entrèrent dans une forêt qui, au fur et à mesure qu'ils avançaient, devint de plus en plus noire, de plus en plus sombre. Le chemin se resserra de plus en plus jusqu'à disparaître. Ils devaient faire confiance à Djou pour les guider à présent. Ils passaient entre les arbres sans pouvoir créer un seul point de repère. L'endroit était bien trop sombre et les arbres avaient l'air d'être tous les mêmes. Il était évident que ceux qui les suivaient ne les suivraient pas plus longtemps. Mais Éni avait bien conscience qu'eux, de leur côté, dépendaient de Djou et qu'ils devaient ne se fier qu'à elle.

Ils marchèrent toute la journée. La nuit tombée, ils y dormirent. Et le lendemain, ils reprirent leur chemin. Peu avant midi, ils arrivèrent à l'orée du bois. Une cabane misérable était construire au dos des premiers arbres. Un peu plus loin, une rivière coulait paisiblement. Une grande route séparait la cabane de la rivière, et se dirigeait vers des collines un peu plus loin.

- On est arrivés.

- Très bien. Je vais aller parler au vieux tout de suite. Ce sera fait. Eni, tu m'attends dehors,

- Pourquoi ?

- Parce que ça ne te regarde pas ce que je vais dire au vieux.

Un vieil homme était sorti de la cabane. Il était à l'image de son habitation. Sa barbe blanche tombait au sol, comme ses cheveux, et malgré un peu d'épaisseur, ils ne faisaient que souligner son visage creux, sûrement signe d'une vie dans la famine. Il appuyait son pauvre corps sur une canne, peut-être pas à cause de son âge, mais à cause de la faiblesse évidente de tout son être. Ara entra seule dans la cabane. Djou et Éni s'assirent dehors et attendirent.

L'attente durait depuis déjà un bon moment quand Éni commença à questionner Djou.

- Qui c'est, ce vieux ?

- Tu sais que tes questions vont finir par être étranges ?

- Tu peux me faire confiance. Je ne retournerai pas chez son père la trahir ou quoi que ce soit.

- ...Hum. Soit. Ara a des capacités, comme tu le sais. Entre autre, elle peut courir dans les airs. Elle t'a sûrement dit aussi qu'elle était la maudite de sa maison. Il y a des gens qui pensent qu'elle n'est pas maudite, et qu'il faut qu'elle entraîne ses capacités pour vaincre le mal.

- Comme un super-héros au service de la veuve et de l'orphelin ?

Djou le regarda comme on regarde un petit enfant qui demande pourquoi les nuages volent.

-  ... Simplifions. Oui.

- Et le vieux dans tout ça ?

- Il saurait lui expliquer. Comment réussir à faire plus de choses, dans de meilleures proportions...

Djou restait trop floue, ce qui agaçait particulièrement Éni. Cette moitié de confidence lui prouvait bien qu'elle avait des choses à cacher.

- Mais Ara a toujours refusé. À chaque fois qu'on se voit je lui propose, depuis notre première rencontre, mais impossible de la convaincre.

- C'était quand la première fois ?

- Pendant sa fugue. J'ai croisé, en plein milieu des bois, une gamine minuscule, habillée en princesse, qui semblait avoir perdu ses petites camarades de pique-nique. Je lui ai proposé mon aide. Au début, elle croyait que j'étais envoyée par son père pour la ramener, et puis j'ai réussi à la convaincre de ma bonne foi. Je l'ai aidée à se cacher. Des millions de fois, je lui ai dit de ne pas aller courir dans les nuages. Mais c'est ce qu'elle préfère plus que tout, qui suis-je pour l'en empêcher ? Il faudrait que je puisse y aller moi aussi. Mais c'est impossible, elle est la seule à pouvoir faire ça.

- Oui, la seule... marmonna Éni entre ses dents.

- Quoi ?

- Rien. Pourquoi refuse-t-elle ?

- Parce qu'elle dit que c'est impossible. Que si elle voulait aider les gens, il faudrait qu'elle s'aide elle-même d'abord, c'est-à-dire réussir à convaincre son père de la laisser en paix. Mais selon elle, il n'arrêtera jamais de la traquer tout le temps qu'il respirera. Ta présence, d'ailleurs, donne tort à mes arguments.

- Je ne poursuis plus personne, moi.

- Et c'est justement ce qui va pousser son père à envoyer d'autres sbires la traquer. Tu aurais dû rentrer au château et lui faire un joli mensonge.

- Oui, et je revoyais plus jamais la couleur du ciel...

- Qu'importe ton sacrifice ? Ara est beaucoup plus importante. D'ailleurs, comment as-tu su que c'était elle, dans les nuages ?

- Elle ne te l'a pas dit ?

- Non.

- Alors c'est qu'il n'est pas utile que tu le saches.

Djou se piqua de cette pointe. C'était sûr, elle ne dirait rien de plus. Mais Éni en savait suffisamment. Elle pouvait bien se vexer, il n'en n'avait rien à faire.

Une nuit passa. Puis une autre. Puis une autre. Ara resta sept jours dans la cabane. De l'extérieur, pourtant, Éni n'entendait strictement rien. Il rageait, l'oreille collée sur un mur :

- Ils sont en pailles pourtant !

Mais on les voyait par un trou : ils étaient assis l'un en face de l'autre à une table, et ils ne bougeaient pas.

- Qu'est-ce que c'est que cette conversation...?

Au moment où, excédé d'attendre une jeune fille et un vieux qui se regardaient dans le blanc des yeux, Éni finit par se décider.

- Je vais ouvrir la porte.

Mais au moment où il se levait pour saisir la poignée, Ara sortit de la cabane.

- J'ai pris ma décision.


La fille de l'air [Cycle 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant