Chapitre 30.

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Je reste un instant immobile face à ce que je viens de lire. Je ne comprends pas, cependant. Que c'est-il passé pour qu'elle me demande de rentrer plus tôt ? Elle a dit que c'était urgent. Mon pouls s'accélère à l'évocation de ce mot. J'aimerais me lever de ma chaise et rentrer comme elle me la demandé, mais ce ne serait pas correct. J'essaye de canaliser mon angoisse jusqu'à la fin du cours mais c'est tout juste si j'arrive à écouter ce que l'enseignante raconte. Lorsque le cours se termine enfin, je bondis de ma chaise, remballe rapidement mes affaires et m'éclipse de la classe en courant. Je décide de ne pas aller déposer mes cahiers dans mon casier car ce serait une perte de temps inutile. Je sors en trombe de l'établissement et arrive au parking où se trouve ma voiture. Je m'y engouffre et jette à l'aveuglette mes affaires sur le siège passager. J'enclenche les clés du véhicule et démarre le moteur qui s'ébranle dans un nuage de fumée grise. Je finis par dépasser les 80 km/h, puis les 90. Arrivé chez moi, je me gare de manière grotesque sur la chaussée du trottoir et ne prends même pas la peine de retirer les clés. Je sors en vitesse et accoure jusqu'à l'entrée. Là, j'empoigne la poignée et pousse la porte à la volée. Je me rus dans le salon où je suppose qu'elle doit être. En effet, elle est assise au bout du canapé, la tête plongée dans ses mains. Elle relève la tête, et à l'instant où nos regards se croisent, je comprends qu'il s'est passé quelque chose de grave. Ses yeux sont rouges et humides. Je viens m'asseoir à côté d'elle et pose ma main sur son épaule. Et, dans un élan, elle enroule ses bras autour de mon cou et colle sa tête contre mon torse. Elle est secouée de sanglots et un flot de larmes coulent le long de ses joues. Je la serre contre moi, en lui caressant doucement les cheveux pour essayer de l'apaiser mais en vain.

-Maman, qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je, d'une voix patiente.

-C'est... Sia. fit-elle, d'une voix couverte par les pleurs.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? ! répété-je, sentant l'angoisse m'envahir.

-Ta sœur est malade Dereck. déclare-t-elle, en me regardant dans les yeux.

-Non... murmuré-je, sentant mon cœur se resserrer dans ma poitrine.

-Les docteurs disent qu'elle est atteinte du cancer du sein. m'annonce-t-elle, lorsqu'elle reprit un semblant de calme.

-Ça veut dire qu'elle va mourir, c'est ça ? m'enquis-je, en haussant le ton malgré ma gorge nouée.

Elle ne répond pas mais pose sa main sur la mienne. Je pense qu'elle n'en sait rien, en vérité. J'ai l'impression que son contact est la seule chose qui me prouve que ce qu'il se passe est réel. Néanmoins, je n'ai pas le sentiment d'y croire. C'est comme si j'étais dans un monde parallèle, où il n'existe aucunes issues, où rien n'est prédit d'avance et que tout peut basculer. J'ai la sensation qu'il faut que je fasse quelque chose, maintenant. J'essaye de trouver ce que c'est mais je n'y arrive pas. Je suis dans un trou noir, sans contours, sans présence, sans rien. Mon monde est dévasté, détruit, anéanti, inexistant. Ma gorge se noue, mon pouls s'accélère, mon cœur semble rétrécir et je n'éprouve plus la possibilité de formuler une quelconque pensée lucide dans mon esprit. Je n'ai plus de contrôle sur moi. Je n'ai plus de but, d'objectif ou de repère désormais. Je me sens tellement impuissant, et je pense que c'est irrévocablement l'une des pires sensations que l'on puisse éprouver. L'impuissance de sauver ses proches, sa famille, les gens que l'on aime, c'est insupportable.

Je bondis tout à coup du canapé, et suis pris d'une sorte d'étouffement. Je dois sortir, me dis-je. J'accoure vers la porte d'entrée que j'ouvre d'une traite et m'engouffre dans l'air de la nuit. Une rafale de vent glacé me frappe au visage et semble stimuler mes émotions car de singulières larmes commencent à couler le long de mes joues. Je m'élance et cours devant moi dans l'obscurité jusqu'à ma voiture. Je m'y enfonce et à peine ai-je démarré le moteur que j'appuie sur l'accélérateur à toute vitesse. Je ne sais pas où je vais. Je sais seulement qu'il faut que je m'éloigne le plus possible de tout ça pour y voir plus clair. Une série d'analepses fusent dans ma tête. Quelques fragments de ma vie aux côtés de Sia et de la dernière fois où nous nous sommes vus.

chasse gardée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant