Chapitre VIII

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SAEMI

« Aie. Ma tête tourne comme une toupie. J'ai la gorge en feu. Faites que cela cesse vite ! Atchoum ! »

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De la soupe. Cette délicieuse odeur me tire instantanément du sommeil. La tête dans un étau, je me redresse difficilement dans mon lit. Fermant les yeux pour me remettre les idées en place, je sursaute violemment. En rafale, tous les souvenirs de la veille me reviennent. Jun. Je tourne la tête et me découvre seule, la place à côté de la mienne désormais vacante. Sans y penser, je me redresse brutalement et dois me retenir au cadre de porte pour ne pas chuter.

C'est avec la tête qui tourne et l'estomac au bord des lèvres que je trouve Jun, affairé aux fourneaux. N'ayant pas remarqué ma présence, je le détail du regard puis éclate brusquement de rire. Il se retourne en sursaut et mon rire s'accentue, je me retiens aux bords de la table à manger pour ne pas m'écrouler de rire.

- Saemi !, il s'exclame, le rouge lui monte aux joues. Qu'y-as-t-il de drôle ?

- C-c'est une blague ?, je réussis à dire, à travers mes rires. T-tu me fais marcher, j'espère ?

Je ne peux détacher le regard du tablier que Jun porte à la taille. Oh. Mon. Dieu. Le tablier... de ma grand-mère ! Tout rose carotté avec un gros chat moustachu tenant une louche avec ses petites pattes. C'est tellement hilarant que je ne peux m'empêcher de rire à gorge déployée. Comme ça fait du bien de rire franchement ! Cela faisait si longtemps...

Jun baisse les yeux vers le tablier puis devient encore plus rouge qu'avant. Gêné, il retourne à sa soupe. La fièvre me montant à la tête, je viens me placer derrière lui, curieuse de ce qu'il peut bien faire. Dans le but de le trahir, je viens déposer mon menton sur son épaule. Aussitôt, je le sens se raidir. Je l'enlace de mes deux bras puis colle mon visage contre son dos.

- Qu'est-ce que tu fais, Saemi ?, il me demande, en grondant.

- Et toi, qu'est-ce que tu fais, Jun ?, je réplique.

- De quoi tu parles ?, il réplique en se cabrant un peu plus.

- ...

Devant mon silence, il soupir puis se retourne pour me faire face. S'accoudant à la bordure du fourneau, il me sonde de son regard charbon. De mon côté, je recule pour m'asseoir sur la table de la cuisine. Nous nous défions du regard, puis il pose la question qui le hante, surement, depuis quelques jours.

- Que t'arrive-t-il, Saemi ?, il me demande, soudainement suppliant. Pourquoi tu agis ainsi ? Il y a peu de temps, tu m'évitais et maintenant tu ... je ne sais même plus ce que tu essaies de faire !

Je vois son visage torturer et sa voix monter dans les octaves mais la fièvre m'empêche de réfléchir avec cohérence. Si bien que je déballe tout.

- Ce qui m'arrive ?, je réplique, sanglante. Parlons un peu plus de ce qui t'arrive à toi ! Jun Maeda.

- Pardon ?, il paraît si perdu, que j'en lâche un ricanement narquois.

Je descends de la table et me plante face à lui, le regard provocateur. Puis sans prévenir je me lève sur la pointe des pieds et je fais mine de poser mes lèvres sur les siennes. Aussitôt, il me repousse, choqué.

- Qu'est-ce que tu essaies de faire, bon sang !, il me hurle, fâché.

- J'essaye de faire ce dont tu rêves de faire depuis des semaines, Jun Maeda !, je lui jette à la figure, tandis que la haine et la colère m'enveloppent. Tu croyais que je ne voyais rien ? Tous ces regards, toutes ces attentions, tout ! Tu me prends pour une idiote !?

Il se fige et me regarde, horrifié. Puis, sans prévenir, son visage reprend une expression sévère et sérieuse. Il me fait dos puis se dirige vers le réfrigérateur d'où il sort une petite bouteille bleu. Il déverse, sous mes yeux, le liquide de la petite fiole bleuté dans une cuillère à soupe. Il vient ensuite, se remettre devant moi, le visage impassible, il m'ordonne :

- Bois.

- Jamais, je rétorque.

- La fièvre te fait dire n'importe quoi, Saemi. Si tu ne prends pas ces médicaments, je jure que je te les faits prendre de force, il ajoute, menaçant. Ouvre tes jolies petites lèvres, fait moi plaisir.

- Ouvre-les toi-même, je réponds.

Mais alors, il m'enfonce la cuillère dans la gorge, je tousse douloureusement et essaie de respirer normalement. Déjà, je reprends peu à peu mes esprits. Jun retourne ranger la petite bouteille tandis que je me laisse tomber sur une chaise de la cuisine, la tête dans les mains. Il me dit quelque chose, mais je ne l'entends pas. Toute la fatigue de ces derniers jours semble me retomber dessus d'un coup. Je tente de me relever pour me rendre à ma chambre mais mes jambes fléchissent. Vif, Jun me rattrape tout juste avant que je me fracasse sur le sol.

Gênée et honteuse, je me relève et me défais de sa prise. Il tente de me retenir mais je file dans ma chambre. Une fois-là, je m'écroule dans mon lit puis éclaté en sanglots silencieux. Fatiguée je m'endors tandis que dehors, le tonnerre gronde. La dernière chose dont je suis consciente est la voix mélodieuse de Jun et ses mains caressant mes cheveux.

Puis le noir.

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JUN

« Je l'entends pleurer et avec elle, mon cœur saigne. »

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Silencieux, je caresse les longues boucles cuivrées de Saemi. Tout cela l'a épuisée. Et la fièvre n'a rien arrangé. Quoique cela soit difficile de l'admettre, elle a vu juste. Et d'après ses pleurs, je sais qu'elle regrette les paroles qu'elle a pu prononcer sous l'effet de la température. Je dépose un baiser sur son nez et la couvre de ma vieille courtepointe, un cadeau de ma mère qu'elle apprécie particulièrement.

- Je suis désolé, je lui murmure à l'oreille. Je t'aime, Saemi.

Sur ce, je sors avec précaution de la petite chambre. Encore étourdis par toute cette dispute, je m'affale sur le canapé du salon. Celui-ci a encore l'odeur de Saemi, qui y a dormi la veille. Je soupire, et m'étends sur le dos, fatigué. À cette heure de l'après-midi, je me permets de dormir. Cette journée semble ne rien me réserver de bon visiblement.

C'est au beau milieu de la nuit que je sens quelque chose se glisser à mes côtés. Surpris, je regarde Saemi venir se blottir contre moi. Sans y penser, je l'enlace étroitement en enfouissant mon visage dans ses cheveux. Son parfum de vanille m'enveloppe et je soupire.

- Saemi ?, je l'interroge, étonné de sa présence à mes côtés.

- Jun, elle réplique simplement de sa voix mélodieuse. Je suis tellement, tellement désolé. J-je... je ne sais pas ce qui m'a pris, elle ajoute en enfouissant à son tour son petit visage contre mon torse. J'ai vraiment dit n'importe quoi, tu ne peux pas savoir à quel point je suis désolé !

Puis elle se mit à trembler contre moi, je devine aisément qu'elle pleure. Je lui frotte affectueusement le dos en lui murmurant d'arrêter de pleurer. Que ce n'est pas de sa faute, la fièvre lui a fait perdre le nord. Elle ne cesse pas pour autant de trembler et de sangloter en silence. Déterminé, j'ajoute les mots qui menacent de traverser mes lèvres depuis des semaines.

- Je t'aime, Saemi.

Aussitôt, elle se fige et se colle un peu plus contre moi. Je devine qu'elle ne veut pas que je vois la surprise sur son si beau visage.

- Je t'aime Saemi Matsumoto, je répète, relevant son menton de la main qui n'enserre pas sa taille.

Jamais je n'oublierai le regard larmoyant qu'elle me jette alors. Je lui caresse la joue puis, sans prévenir, je pose mes lèvres sur les siennes. Si douces et si belles, je me laisse emporter dans ce baiser. Auquel elle répond ouvertement. Puis, je pose mon front contre le sien. Nous nous fixons du regard quelques instants puis-je l'enlace étroitement.

Soulagée, elle s'endort dans mes bras. Remarquant la courtepointe de ma mère dans les mains de ma belle, je l'attrape puis nous enveloppe tous les deux. J'oublie alors tous les interdits que nous venons de franchir puis m'endors avec elle, de nouveau heureux.

À suivre...

Un amour interditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant