Partie 3

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2 semaines plus tard :

Il faisait froid, l'hiver venait de s'abattre sur Svatantria et les températures étaient considérablement descendues. Malgré la grosse capuche en fausse fourrure qui m'entourait la tête, de minuscules flocons de neige venaient fouetter mon visage. Je raffermis ma prise sur mon écharpe et la collai sur mon cou du mieux possible pour éviter que le vent glacé ne vienne s'engouffrer dans l'encolure de mon manteau.

Il faisait nuit noire, seuls quelques lampadaires fonctionnant à l'énergie solaire éclairaient encore certaines parties de la ville. Les lumières ne marchaient plus depuis des jours. L'électricité avait été coupée en même temps que l'arrivée du mur qui entourait Svatantria et la séparait du reste du monde.

Plus aucune onde radio ne semblait passer, le mur agissant comme un énorme brouilleur. Je m'étais attendue à voir défiler des escadrons de drones, d'hélicoptères, d'avion de chasse et tout le tintouin après cet événement hors du commun. C'était tout de même une première dans l'histoire de l'humanité, nous étions envahis par des êtres inconnus jusqu'alors et qui disposaient d'une technologie qui nous dépassait complètement. Pendant un temps, j'avais même eu peur que l'armée n'intervienne au moyen d'une bombe nucléaire ou de toute autre arme de destruction massive en leur possession. En général c'était ce qu'il advenait dans les films, devant leur impuissance, les gouvernements prenaient la fatale décision de tout faire péter sans se soucier des pertes civiles. Nous faisions partie des dommages collatéraux et si c'était là l'unique moyen de se débarrasser de cette nuisance...

Mais, au cours de la quinzaine de jours écoulés, personne n'était intervenu. J'ignorais si c'était parce qu'ils étaient occupés ailleurs ou bien parce qu'ils ne pouvaient pas franchir ce mur qui semblait s'élever plus haut que la mésosphère, j'étais toutefois bien contente de ne pas avoir servi de chair à canon.

Je levai la tête, bravant le froid, et posai mon regard sur la cité volante que l'on pouvait apercevoir un peu plus haut et qui était apparue en même temps que ces maudits anges. Je l'appelais Le Château dans le ciel ou CDLC pour les intimes, parce qu'il ressemblait comme deux gouttes d'eau à la citadelle volante présente dans le film d'animation de Hayao Miyazaki. En tout cas c'est l'image qu'il renvoyait depuis le sol.

Je m'étais d'abord cru folle. Tout était arrivé si vite... je ne comprenais pas, le monde que je connaissais n'était plus. C'était tellement inconcevable. Mais les fous ne savent pas qu'ils le sont, non ?

Deux semaines étaient passées et j'avais dû me rendre à l'évidence. Tout cela était bien réel. Encore aujourd'hui, je me demandais comment j'avais pu rester en vie aussi longtemps. Une force, sortie de je ne sais où, s'était emparée de mon être et m'avait aidée à prendre les décisions les plus prudentes me permettant d'éviter les anges et la brutalité qui les accompagnait. L'instinct de survie probablement.

L'espoir, non, la certitude de revoir ma famille me poussait à continuer à me battre. Je parviendrai à me sortir de là, je trouverai une brèche et je quitterai cette prison qu'était devenue ma ville. J'avais entendu des rumeurs, le champ magnétique perdait parfois de sa puissance et s'atténuait par endroits jusqu'à laisser apparaître des failles. Quelques personnes auraient d'ailleurs réussi à s'échapper.

Simples racontars ou réalité ? Je ne pouvais le dire. Mais j'avais choisi d'y croire. Je me rendais chaque nuit devant ce mur d'énergie qui entourait ma ville, le longeant sur plusieurs centaines de mètres en attendant qu'il ne défaille.

Je ne sortais jamais en journée. Dans l'ensemble, très peu de monde se risquait à arpenter les rues depuis qu'Ils étaient tombés. Et plus aucune femme ne l'avait fait depuis des jours. Mais je devais bien me sustenter, et à la différence des familles qui peuplaient le coin, je n'avais personne pour partir en éclaireur à ma place. J'étais seule, sans repères autres que ceux que j'avais pu me créer pendant ces deux dernières semaines. Je n'avais aucun ami dans le coin, aucune connaissance. Et les récents événements ne m'avaient pas aidé à m'en faire. La ville était comme morte.

Ça allait un peu mieux maintenant, il m'arrivait de croiser plusieurs individus dans la même soirée, mais je ne leur adressais pas la parole. Je ne faisais confiance à personne. Je cachais mes cheveux longs et mon visage sous ma capuche, ma garde-robe était à présent uniquement composée de pantalons et de hauts suffisamment larges pour cacher mes formes. Je bandais mes seins pour qu'aucune trace de féminité ne mette le doute sur ma silhouette.

Les anges continuaient parfois de kidnapper des femmes. Ils s'étaient calmés avec le temps, les rapts n'étaient plus aussi fréquents, mais impossible de savoir si c'était parce que mes pairs ne sortaient plus ou simplement parce que ces créatures avaient finalement eu leur quota de « spécimens ».

Je m'étais longtemps demandée ce qui pouvait les pousser à nous enlever. J'avais envisagé toutes les hypothèses, jusqu'à ce que je tombe sur une conversation sur le sujet.

Selon les dires du couple d'hommes que j'avais espionné, le peuple des Anges se mourrait. La dernière femme de leur espèce s'était éteinte, annonçant la fin de leur civilisation. Ils avaient donc quitté leur monde et atterrit sur Terre, à la recherche de compagnes capables de donner la vie à une nouvelle génération. Mais les anges étaient stériles pour la plupart et les chances de donner la vie n'étaient déjà pas très grandes entre individus de leur propre espèce. Ils devaient donc nous tester afin de s'assurer que nous puissions remplir ce rôle. Nous tester comment ? Je l'ignorais encore, mais je n'étais pas pressée de le savoir. Des vaches à lait. Voilà ce que nous étions à leurs yeux.

Quoi qu'il en soit, leurs victimes étaient très peu à refaire surface ici bas. Quelques-unes seulement réapparaissaient, marquées d'un tatouage sur le front signifiant qu'elles avaient déjà été testées. J'avais eu l'idée de m'en faire un moi-même dans le cas où je serais interpellée, mais le symbole n'était jamais identique d'une femme à l'autre. Je n'aurais pas été étonnée que ce soit une sorte de numérotation angélique façon codes-barres.

Le procédé était abject. Mais le plus dur avait été de voir la réaction de certains humains face au phénomène. Deux fois par semaine, un cortège d'anges descendait sur terre et des hommes venaient à leur rencontre, vendant des femmes qui ne portaient pas encore de tatouage en échange de l'espoir de voir revenir leur propre fille ou épouse. Parce qu'il va sans dire que si celles-ci avaient été testées positives, ils n'avaient aucune chance de les revoir. Ainsi était née la nouvelle collabo.

Je détachai mon regard du CDLC et le reportai sur le mur d'énergie qui me faisait à présent face. Malheureusement ce ne serait pas pour ce soir non plus. Le champ n'avait montré aucune faiblesse durant les deux heures qu'il m'avait fallut pour parcourir cette partie du mur. Je le longeais sur un peu plus de deux kilomètres chaque nuit. Prenant mon temps, attentive à chaque déséquilibre que je pouvais ressentir. Il traversait les immeubles de part en part et j'étais souvent obligée de revenir sur mes pas jusqu'à trouver un passage me permettant d'accéder à la rue en parallèle. Lorsque je le pouvais, je rentrais dans les appartements adjacents et je le longeais de l'intérieur, ressortant par l'une des portes ou des fenêtres que comptait le logement.

J'avais forcé pas mal d'habitations inoccupées dans ce but. Mais de toute façon, la plupart du temps, les gens avaient quitté leur domicile si celui-ci se trouvait trop près du mur. Ils avaient sans doute peur d'une certaine radioactivité ou d'un mal inconnu qui aurait pu les toucher s'ils étaient restés. Beaucoup s'étaient rassemblés chez leurs proches, se regroupant par clan pour se défendre contre les menaces extérieures. Je n'avais pas ce luxe malheureusement et je devais prendre des risques pour ma propre survie. 

Je pensais parfois aux familles qui s'étaient retrouvées séparées alors qu'elles se trouvaient à l'intérieur du même appartement. Cela avait dû être un déchirement. Ils ne pouvaient même pas se consoler en se disant qu'au moins, ils avaient la chance de se voir parce que le mur avait beau être translucide, ses oscillations incessantes ne nous permettaient pas de distinguer clairement ce qu'il se passait de l'autre côté. Il semblait épais d'au moins deux mètres et tout était rendu flou à notre vue.

Je poussai un soupir de découragement et m'apprêtais à faire demi tour pour rejoindre l'abri de fortune que je m'étais créé un peu plus loin, lorsque j'eu la surprise de me retrouver face à deux hommes me scrutant d'un regard torve.

— Celle-ci n'a pas de marque, constata le premier individu.

— T'as vu ça, Michou, je crois qu'on a touché le jackpot ce soir, lui répondit son acolyte avec un sourire des plus détestables.


Comme s'il pleuvait des anges (Édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant