VI. LENDEMAIN DE BAL

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Joachim faisait un rêve merveilleux où une ville de nuages le portait légèrement, dans un monde où tout était blanc, où tout était pur : un monde où transpirait la joie. Il marchait lentement sur une surface légère comme de la mousse et admirait ces petites maisons de coton, aux fenêtres creuses et aux portes ouvertes. Une sensation de liberté régnait dans cet univers inconnu et Joachim, en homme conscient qu'un tel bonheur ne peut être que temporaire, profitait de chaque seconde que son imagination lui offrait.

Il aperçut alors, assise sur le rebord d'une fontaine de marbre, la gracieuse silhouette de sa Colombine. Elle semblait attendre quelqu'un.

A la vue de Joachim, elle esquissa un large sourire auquel il s'empressa de répondre. Mais encore une fois, le jeune homme ne put apercevoir que la moitié de son visage, toujours dissimulé par ce masque vénitien. Aux pieds de l'inconnue trônait un mouchoir de soie blanche. Cette fois, personne ne pouvait empêcher Joachim de rendre ce tendre service à sa muse. Personne, pas même le Puissant. Et encore moins Zeus. Il se sentait fort. Fort comme un homme déterminé, dont la résolution est prise et définitive.

Il mit un genou à terre à quelques centimètres à peine de la robe de la jeune femme et se saisit du mouchoir abandonné. Au moment où ses doigts se posèrent sur la soie, le ciel s'illumina au-dessus de lui comme si le contact avec le tissu tant désiré eut déclenché cette surprenante réaction. Mille soleils brillaient de tous leurs feux et aveuglaient le jeune homme, qui ne parvenait ni à distinguer ce monde idéal dans lequel il évoluait depuis quelques minutes, ni même, à son grand désespoir, sa douce Colombine.

Il sortit de sa rêverie et entrouvrit les yeux, puis porta naturellement les mains à son visage.

Les volets de bois filtraient à peine les rayons du soleil et inondaient la chambre de Joachim d'une lumière tamisée. La position de l'astre indiqua bien vite au jeune homme que la journée était entamée depuis plus longtemps qu'il ne l'eut pensé.

Son esprit ressassa un à un les différents événements de la veille qui, mis bout à bout, avaient valu à notre apprenti médecin de passer une des plus incroyables journées de sa courte vie. Une pensée en particulier berçait ses rêveries sans que nous ayons besoin de la mentionner.

Il fouilla machinalement sous son oreiller et en sortit le précieux mouchoir, qu'il respira avidement. Il remarqua alors pour la première fois une petite broderie savamment exécutée sur un côté de la pièce.

La lettre G.

Il embrassa avec respect le premier indice sur le chemin de sa quête et reposa la tête sur son oreiller.

On frappa alors à la porte de l'appartement.

Joachim ignora tout à fait l'appel et continua son voyage au pays si mystérieux de ses songes. Il interprétait ce halo de lumière comme une bénédiction des grandes instances de l'Amour. Colombine, ou quelque soit son nom : il devait la retrouver à tout prix. Il retournerait tout Paris s'il le fallait, il sillonnerait la France et visiterait un à un tous les royaumes du monde, pourvu qu'il puisse approcher son idéal et seulement, seulement ! entendre le son de sa voix.

On ne frappait désormais plus à la porte, mais on tambourinait de telle sorte qu'il semblait à Joachim qu'on essayait d'entrer par effraction dans son salon !

Une voix bien familière retentit, suivie d'un grognement animal.

━ Voilà, voilà, on vient à la fin !

On put entendre un froissement de draps, puis le parquet grinçant lourdement sous quelques pas. Enfin les loquets glissèrent et la porte s'ouvrit dans un miaulement.

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