Joachim se pencha de tout son poids sur la balustrade et entreprit de dévisager chaque masque, chaque costume, dans l'espoir de reconnaître celle pour qui son cœur battait enfin.
Lors de vos promenades dans les bois, ne vous est-il jamais arrivé de tomber sur une fourmilière et de vous adonner à cette distraction consistant à suivre des yeux une seule et même fourmi le plus longtemps possible, pauvre créature minuscule bousculée par des milliers de semblables ? La tâche de Joachim valait notre loisir et nécessitait au jeune homme une concentration extrême que son état de fatigue avancé n'aidait guère. Pourtant, il comptait sur ce nouveau coup du sort pour parvenir à enfin identifier son inconnue du théâtre de la Porte-Saint-Martin.
Le parfum s'estompa et l'espoir fit place à l'abattement. Toujours accoudé sur sa balustrade, le front sur ses poings serrés, il maudissait en silence le Ciel de ne pas lui venir en aide dans sa noble quête.
━ De toute manière, se dit-il à lui-même, un parfum si puissant ne peut être porté par une seule femme. J'aurais été roulé par mes sens, voilà tout.
Les émotions de la journée eurent raison de la santé de notre pauvre apprenti médecin, qui prit la résolution de quitter l'hôtel de Tournelles sans délai, mais non sans en avoir informé Hector au préalable. Aussi il longea les balcons et descendit le grand escalier en prenant soin d'éviter les fêtards rendus maladroits par les spiritueux de Madame de Tournelles. Arrivé en bas, il se mit en quête d'Hector.
La chaleur des corps rendait l'atmosphère étouffante et très vite Joachim sentit des gouttes de sueur perler sur son front jusque sur son masque. Il se donna quelques minutes pour trouver son ami, au terme desquelles, si Hector demeurait invisible, il s'en irait sans avertissement aucun.
Par bonheur, la nature avait fait Hector si formidable qu'il était difficile, dans un espace confiné, de ne pas le retrouver : soit on remarquait son physique hors norme, soit c'était à sa voix puissante qu'on le localisait. Ainsi il repéra très rapidement le grand Zeus, dont la couronne et le masque brillaient de tout leur éclat. Il était en discussion avec un jeune homme sorti tout droit des tapisseries de Bayeux.
━ Joachim, te voici enfin ! hurla Hector à la vue de son ami.
Il intercepta trois coupes de vin de Champagne qu'un Suisse errant présentait sur son plateau.
━ Voilà pour toi Joachim. Et voici pour vous, mon cher Monsieur... Tiens donc, les hasards de la conversation et les bienfaits du vin de Champagne m'ont fait oublier le premier devoir d'un gentilhomme. L'étourdi que je fais ! Je suis Hector Lanthenas, de la banque Lanthenas & Fils et ami intime de Madame de Tournelles, chez qui vous avez l'honneur de vous trouver.
━ Et moi Alphonse Bontemps.
━ La parfumerie Bontemps ? demanda Hector d'un air entendu.
━ Celle-là même. J'ai l'honneur d'être le fils du grand parfumeur Gaspard Bontemps, répondit le chevalier français. Comptez-vous parmi nos clients par hasard ?
━ C'est à dire que... dit Hector embarrassé. Voyez-vous, j'y songeais pas plus tard que ce matin. Je me disais qu'il était grand temps que je change d'eau de toilette et votre nom de famille est arrivé en tête de liste de mes prospects !
━ Allons donc, rigola Alphonse.
━ Mais je ne vous ai pas encore présenté Joachim, qui lui aussi sera ravi de considérer vos services.
━ Ah tiens ! dit Alphonse.
Bien que plus petit en taille, il dévisagea Joachim avec une hauteur qui refroidit immédiatement le condottiere.
━ Joachim Lambert, enchanté. Je suis étudiant à l'école de Médecine de Paris et...
━ Hector, mon ami, je vous ai cherché partout ! interrompit une femme tout de jaune vêtue.
━ Jeanne, ma chère Jeanne ! Mais nous valsions tous deux il y a quinze minutes à peine.
━ Partout, vous dis-je ! Je suis allée dans la cour, vous n'y étiez pas. Je suis allée dans le vestibule, vous n'y étiez toujours pas, j'ai sillonné les balcons, pas de trace de vous, et voilà que je vous retrouve au beau milieu du parterre à boire cet excellent vin de Champagne avec vos deux amis ! N'avez-vous aucun respect pour votre cavalière, M. Hector Lanthenas ? Si je ne vous avais pas trouvé ici, je serais en ce moment même en train de parcourir les jardins à votre recherche ! Les jardins de l'hôtel de Tournelles qui ont d'ailleurs la réputation d'être charmants ! finit-elle en insistant sur le dernier mot.
━ Mais douce Jeanne...
━ Charmants, ai-je dit.
━ Charmants, oui, je comprends, mais...
━ Ah non, je vous rectifie, vous n'avez pas l'air de comprendre un traître mot de ce que je vous dis, ô grand Zeus.
━ Pourtant je...
Joachim s'approcha de l'oreille d'Hector et lui murmura quelques mots.
━ Ah ! Mais bien sûr, les jardins ! s'écria Hector avec un éclair dans les yeux. Oui, les plus charmants jardins de Paris, dit-on.
━ Je ne demande qu'à en juger par moi-même.
━ M'acceptez-vous pour guide ?
Jeanne, sans même daigner répondre, posa sa main sur le bras d'Hector.
━ Ce n'est pas trop tôt, dit-elle tout bas.
Alphonse et Joachim suivirent des yeux le charmant couple jusqu'à ce que la tête d'Hector ne disparaisse au détour d'une colonne.
━ Alors comme cela, M. Lambert, vous souhaitez faire carrière dans la médecine, dit Alphonse Bontemps avec un mépris non dissimulé.
━ J'ambitionne de devenir médecin oui, comme le fut feu mon père.
━ Le brave homme n'est plus de ce monde ?
━ Ce brave homme, comme vous dites, a perdu la vie pour la France il y a vingt années de cela, sur les rives de l'Elbe, à quelques kilomètres de Dresde.
━ Une victime de plus sur la conscience de cet empereur fou.
━ La grandeur de la France n'a pas de prix, M. Bontemps.
━ Nous n'avons qu'une seule vie, M. Lambert, je préfère consacrer la mienne à une entreprise plus importante que la grandeur de la France. Mais soit, chacun dispose de sa vie comme il l'entend, du moment qu'il ne se mêle pas de la vie d'autrui.
Les yeux de Joachim se plissèrent sous son masque.
━ Laissez-moi vous conter une histoire, M. Lambert. Il y a huit ans de cela, ma mère - paix à son âme ! - tomba mystérieusement malade un beau jour de juillet, sur la route entre Villers-Côterets, où ma famille possède une résidence d'été, et Paris. La fièvre faisait rage et la folie n'était pas loin. Mon père se hâta de rentrer à Paris et en mari dévoué, installa ma mère dans la plus belle chambre de notre hôtel. Le docteur Laveaux traitait ma famille depuis deux générations et venait de s'éteindre à l'âge de quatre-vingt-deux ans. C'est donc son assistant, devenu titulaire, le docteur Maurion, qui se présenta à la porte de notre maison en cette chaude nuit d'été, après que notre valet Honoré l'eut prévenu. Il osculta ma mère et après quelques minutes, coucha sur une feuille une liste d'ingrédients et ordonna à notre femme de chambre de les réunir au plus vite.
≪ Mon père n'avait pas quitté le côté de la couche de sa chère femme. Mon frère et moi avions interdiction de pénétrer dans cette chambre qui, en quelques heures, s'était transformée dans nos coeurs en un lieu saint où Dieu opérait son jugement. Nous priions nuit et jour que le Puissant veuille bien accorder à ma mère un sursis de nombreuses années auprès de sa famille qu'elle aimait tant.
≪ Le docteur Maurion venait trois fois par jour au chevet de ma mère : une fois au réveil, une fois à quatorze heures, et une fois avant le coucher. Tous les matins, à dix heures précises, son comptable, un petit homme bourru et malpoli, se présentait à la porte de notre hôtel et tendait à Honoré un pli contenant une facture récapitulant les frais de consultation ainsi que le remboursement des sommes engagées à l'achat des remèdes préparés à l'attention de ma mère.
≪ Mais les jours passaient et l'état de ma mère empirait malgré les soins - pourrais-je les appeler ainsi ? - du docteur Maurion. Quant aux factures, elles se portaient elles de mieux en mieux et mon père, qui aurait vendu sa maison et ses meubles pour la santé de sa femme, continuait de payer le docteur aveuglement, sans se rendre compte de l'inefficacité des traitements. Pourtant, tous les jours, le docteur Maurion y allait de son pronostic.
≪ ━ Si votre femme suit à la lettre le traitement prescrit, je réponds de sa santé.
≪ Pendant toute la durée de la convalescence, la parfumerie conserva portes closes, provoquant l'ire des clients inquiets. Huit semaines passèrent durant lesquelles le docteur Maurion continua ses traitements inutiles, tandis que son comptable ne se lassait pas de venir réclamer son dû à mon père. Pourtant, l'optimisme était de mise.
≪ ━ Dans quelques jours, le plus difficile sera derrière vous M. Bontemps, disait M. Maurion à mon père.
≪ Un beau matin, le comptable se présenta à dix heures précises, comme il l'avait fait pendant les huit semaines qu'avaient duré le traitement. Le montant de la note atteignait désormais des montants exorbitants que mon père continuait de régler sans renâcle. Ce matin-là pourtant, force fut de constater que le coffre était bel et bien vide. Le comptable fut donc pour la première fois renvoyé de l'hôtel sans serrer entre ses mains son billet quotidien. A quatorze heures, le docteur ne se présenta pas. A quinze heures, mon père envoya Honoré s'inquiéter de ce retard, mais il lui fut répondu qu'il avait pour le moment plus important à faire. Le seul geste qu'il daigna faire fut de glisser entre les mains du brave Honoré une copie de la facture impayée. Mon père pâlit au récit de son valet et se précipita à la banque afin d'obtenir un prêt, qui lui fut refusé en raison de l'inquiétude que suscitait la fermeture de la parfumerie Bontemps. Il se tourna plein de désespoir vers un de ses amis commissaire-priseur dans l'optique de faire estimer ses biens les plus chers. Rendez-vous fut pris le lendemain à midi. Étrangement, l'état de ma mère s'améliora et pour la première fois depuis plusieurs semaines, elle passa une nuit calme et sans douleurs, bien que la fièvre, elle, ne l'abandonnât pas.
≪ Le lendemain, à dix heures, ce couard de comptable revint sonner à la porte mais fut chassé par Honoré. A midi, le commissaire-priseur se présenta à son tour et entama d'estimer la valeur des plus belles pièces du petit hôtel que nous habitions. Mon père négocia une avance sur la vente et envoya Honoré régler les sommes dues au docteur Maurion.
≪ Ma mère était étrangement calme. La fièvre s'était calmée tout à fait, au grand bonheur de mon père, qui vit d'un mauvais oeil l'arrivée du docteur Maurion à quatorze heures. Il monta lentement les escaliers, poussa la porte de la chambre, s'approcha du lit et posa lentement la main sur le front de mère. Il conserva quelques temps sa paume sur le visage blanc de la malade puis, après avoir gravement regardé mon père, il prit le poignet de ma mère entre son pouce et son index pendant quelques longues secondes, puis plaça la main inerte de la malade sur sa poitrine.
≪ ━ M. Bontemps, votre femme est décédée.
≪ Mon père poussa un cri rauque et s'effondra sur le plancher tandis que mon frère et moi nous précipitions vers ce qui n'était plus que le cadavre froid de ma mère. Froide l'était tout autant l'attitude du docteur Maurion : il se contenta de replier sa trousse et de saluer la pièce.
≪ ━ Mes condoléances.
≪ Et il disparut de notre vie. Il laissait derrière lui une famille ruinée et orpheline d'une mère aimante. Comprenez que depuis ce jour, M. Lambert, je ne vois pas d'un bon oeil la médecine qui a, selon moi, depuis le début de ce siècle, fait de cette profession un sport où le but est de conserver le patient en vie le plus longtemps possible, jusqu'au jour où il n'y a réellement plus rien à faire pour le ou la malheureuse, ou que la famille ne soit plus en mesure de payer ses dettes.
Joachim avait écouté cette terrible histoire d'une oreille attentive. Il se joignait à la peine du fils du parfumeur mais ne pouvait accepter son jugement trop rapide de la profession.
━ Votre histoire me touche M. Bontemps, mais nous parlons là d'un cas isolé. La médecine a en une trentaine d'années progressé plus rapidement que pendant les trois derniers siècles.
━ Grâce à votre Empereur, n'est-ce pas ?
━ Tout d'abord, il ne s'agit pas de mon Empereur, répondit Joachim agacé. Et vous n'êtes pas sans ignorer que les guerres du début du siècle, aussi tragiques et coûteuses en vies humaines furent-elles, ont permis de développer de nouvelles techniques en matière de traitement du patient et que...
━ Cela m'importe peu. Votre belle prose ne fera pas revenir ma mère. Voyez-vous, M. Lambert, vous me paraissez sympathique, mais votre passion pour la médecine met entre nous ce maudit docteur Maurion dont le visage se substitue au vôtre aussitôt que je vous parle. Je préfère donc vous souhaiter une bonne soirée plutôt que de perdre votre temps.
Alphonse Bontemps salua sobrement et s'engouffra dans la foule.
Devant la rudesse du parfumeur, Joachim était resté interloqué et de marbre : il n'y avait pas grand chose à répliquer à ces paroles méprisables, et si même les mots justes lui étaient venus à l'esprit, il se serait bien certainement abstenu de les débiter.
Il erra quelques minutes sous les balcons la de salle de réception et promena ses yeux sur la foule des fêtards et des danseurs. L'orchestre, tout au fond, produisait la plus belle des musiques et entraînait de son hymne les pas de centaines de jeunes gens hilares.
Joachim s'attarda quelques instants sur un petit groupe de soldats mauresques assez bruyants et se rendit compte du contraste qu'il existait entre la joie ambiante, présente à tous les recoins d'une salle en extase, sur les balcons et même dans les jardins, et cette tristesse mélancolique qui lui obstruait la gorge.. Il sourit à l'image d'Hector transformé en Zeus promenant à son bras sa belle Jeanne au détour des parterres de fleurs illuminés.
Ses pensées s'interrompirent au moment où le groupe de maures se décida à rejoindre la mer des danseurs et laissa place à la délicieuse vue d'une jeune femme en costume de Colombine adossée à une colonne.
Joachim se figea.
━ Cette silhouette... se dit-il. Non, c'est impossible. Le bon Dieu me teste, voilà tout. Mais pourtant, qu'elle semble belle sous ce masque vénitien, quelle fière allure dans ce corsage à rayures vertes. Elle regarde dans ma direction mais ne elle paraît pas me voir, invisible que je suis sous mes escaliers. Elle sourit ! Certainement pas à moi. Elle a du apercevoir un de ses amis, ou peut-être même son amant, voilà l'explication ! Oh, elle tourne la tête... Mais, ces cheveux, je les reconnais, comment pourrais-je ne pas les reconnaître ! Oh, c'est elle, il faut que ce soit elle ! Ma muse, mon ange, mon plus beau cauchemar... Mes intuitions ne m'auront donc pas trompé, merci ô grand Dieu, merci de m'avoir permis de la revoir. Je dois lui parler, il le faut. Mais que lui dire ? Ô Hector, pourquoi es-tu loin quand ton ami a pour une fois tant besoin de toi ? Qu'importe, je ne peux pas laisser passer cette occasion qui ne se représentera peut-être jamais. Tiens, elle cherche quelque chose dans le pli de sa robe. Un mouchoir. Elle a chaud, elle s'essuie le front. Je donnerai dix années de ma vie pour tenir ce mouchoir entre mes doigts et l'appliquer sur son front brillant. Allons, Joachim, il est temps de prendre ton courage à deux mains. Ton destin se trouve à quelques mètres de toi peut-être, ne laisse pas une chance comme celle-ci s'échapper. Le mouchoir, elle l'a fait tomber ! Je dois la prévenir. Maintenant ? Où devrais-je attendre ? Non, ne plus attendre, plus jamais !
Une main lourde se posa sur son épaule et pendant une fraction de seconde, Joachim crut à une intervention divine.
━ Joachim... dit une fois familière.
Il ne s'était pas trompé : Zeus en personne venait d'intervenir.
━ Hector ? Mais je te croyais dans les jardins avec Mademoiselle Jeanne.
━ Les jardins sont frais en cette période mon bon Joachim, pour les hommes comme pour les dieux, rigola Hector. Jeanne a retrouvé Madame de Tournelles et ces deux moulins à paroles ont commencé à tourner à une cadence trop rapide pour mes oreilles. Je me suis donc mis à ta recherche. Qu'as tu pensé de ce Bontemps, le parfumeur ?
━ Pas grand chose, en toute franchise. Je ne pense pas le compter dans le cercle intime de mes amis, sourit Joachim.
━ Mais que fais-tu ici, à l'ombre des escaliers ? Tu sais, j'ai eu de la chance de te trouver, car à quelques mètres près, je serais passé sans même te remarquer !
━ Une intervention divine... murmura Joachim. Hector, mon ami, je me dois d'être franc avec toi. Au moment où ta main s'est posée sur mon épaule, tu m'as arrêté dans mon élan.
━ Ton élan ?
━ J'allais aborder cette jeune fille qui...
━ Une jeune fille ? Toi, Joachim, amoureux, mais c'est merveilleux !
━ Amoureux ? répondit-il embarrassé, pas du...
Hector prit les mains de son ami et tourna en cercle en chantant à tue-tête.
━ Amoureux, entendez-vous ! Amoureux, mon Joachim est enfin amoureux ! Mais, dit-il en s'arrêtant de tourner, amoureux de qui, Joachim ?
━ Je ne suis pas amoureux, Hector, se mentit-il. Je comptais simplement prévenir cette jeune femme qu'elle avait égaré son mouchoir.
Il se retourna en présentant de la main l'endroit où se trouvait Colombine, mais si le mouchoir se trouvait bien en pagaille sur le parquet, la soubrette, elle, était invisible.
━ Mais je ne vois personne !
Joachim ignora les paroles de son ami et se dirigea le coeur gonflé vers le pilier contre lequel, quelques secondes plus tôt, était adossée la jeune femme. Il se saisit avec respect du petit mouchoir blanc, comme un archéologue ferait en prenant pour la première fois la coupe du Roi entre ses mains.
Il le porta à son nez et prit une profonde inspiration. Une larme apparut sous son masque et courut le long de sa joue. Il n'y avait plus à s'y méprendre : la jeune femme du théâtre et Colombine n'étaient qu'une seule et même personne.
Hector aperçut la larme et prit immédiatement le bras de son ami. Ensemble ils se dirigèrent vers la sortie et montèrent dans la première voiture. Joachim le suivait comme un automate, sans protester et sans parler.
Dans la voiture, Hector sortit de sa toge une petite boîte en métal de laquelle il extirpa deux petites boulettes noires. Il en plaça une sous sa langue, et conseilla à Joachim d'en faire de même. Dans l'état de rêverie dans lequel se trouvait le jeune homme, il ne fut pas très difficile à convaincre.
Arrivés rue Saint-Jacques, Joachim s'assit dans le fauteuil où quelques heures auparavant se pavanait son ami inquiet. Toutes ses pensées étaient avec sa belle inconnue. A peine avait-il remarqué qu'ils étaient rentrés à son domicile. Tout lui était égal.
Une heure se passa ainsi quand minuit sonna au clocher de Saint-Gervais. Joachim fut pris d'une sensation de bien-être qu'il ne s'expliqua pas. Il se leva de son fauteuil et retrouva Hector sur la petite terrasse de l'appartement. Toujours en costume, il était affalé sur une chaise et chantait joyeusement le nom de sa maîtresse.
━ Ô Jeanne, tes yeux m'éclairent, ton sourire m'anime, ô Jeanne, Jeanne, Jeanne ! Il sentit la présence de Joachim près de lui. Mon ami, viens t'asseoir près de moi. La lune n'est-elle pas magnifique ce soir ?
━ Hector, cette boulette que tu m'as donnée ... Je me sens si léger, si apaisé... Il s'assit à côté de son ami.
━ Oui, Joachim. Ce sont là les bienfaits de l'opium.
━ De l'opium ?
━ Oui. Maintenant, tâche de me conter ce que tu caches dans ton coeur. Hector ne t'interrompra pas, foi de Zeus.
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Providence
Narrativa Storica━ Mais toi, Joachim, as-tu seulement envie de connaître les belles femmes de Paris ? ━ Je t'en prie, Hector, ne porte pas notre conversation innocente sur ce sujet. ━ Non ? Alors je l'abrège en te le répétant une nouvelle fois : ta peur de l'amour...