X. HECTOR À JEANNE

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Paris, dimanche 10 mai 1831

Douce Jeanne,

Ce matin, cherchant une échappatoire à la redondance des tâches que mon office m'efforce d'accomplir, je portai les yeux sur deux petits oiseaux sautillant joyeusement sur une branche à proximité de la fenêtre de mon bureau. Alors, et ne me demandez pas par quel cheminement de pensée, votre visage m'est apparu comme Saint Michel s'est révélé à notre chère Pucelle de Donrémy.

C'est ainsi que j'ai douloureusement pris conscience que trop de jours s'étaient écoulés depuis la dernière fois que mes yeux avaient sondé les vôtres. Quand le travail absorbe toutes vos pensées, il ne laisse que trop peu de place aux sentiments et m'éloigne irrémédiablement des choses importantes de la vie de ce jeune homme que je suis pourtant encore.

Je ne vous demande pas de me pardonner, ma chère Jeanne : je vous en conjure ! Ne me croyez pas éhonté de vous faire une telle prière, car soyez-en assurée, à ce moment précis, chacun des battements de mon cœur se prolonge à l'ensemble de mon corps et manque de me faire tomber la plume sous le poids des remords qui m'habitent.

Pardonnez un homme dévoué aux affaires familiales et désireux de satisfaire un père intransigeant et plein d'espoir pour ce fils dont je porte le costume - et cela vous fera certainement sourire - que je trouve parfois trop grand pour mes larges épaules.

Peut-être trouvez-vous mon approche lâche et désireriez-vous non pas lire mes vaines excuses, mais plutôt les entendre de ma bouche même, car il prend à un homme bien plus que des mots pour se faire pardonner ! Aussi ai-je l'audace de vous demander une entrevue particulière dès ce mercredi, si vous jugez ma présence digne de la belle société se rassemblant dans votre salon.

A compter de ce moment, rien au monde ne me semble plus important et pressé que de tenir entre mes doigts le petit bout de papier contenant votre réponse et qui scellera l'estime que vous vous faites de mon humble personne.

Avec tout mon tendre respect,

Votre dévoué Hector Lanthenas

PS : j'ai dû précipitamment décacheter ce pli afin de vous demander, dans le cas où vous accepteriez de me revoir, si mon cher Joachim pouvait également bénéficier de vos faveurs et égayer votre salon ce mercredi.

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