Je souffle mes vingt deux bougies. Mon frère a trouvé plus drôle d'en mettre vingt deux individuelles, plutôt que d'acheter deux chiffres. Il se marre d'ailleurs quand il voit mes joues gonflées à bloc pour toutes les éteindre d'un coup. Je ne crois plus aux vœux qui s'exhaussent depuis longtemps, et pourtant je veux qu'elles s'éteignent toutes du premier coup. Je ne sais même pas ce que je pourrais souhaiter, il y a tellement de choses à demander que je ne peux pas choisir.
C'est la première année que je célèbre mon anniversaire sans mon père. Je peux donc peut être souhaiter le revoir. Mais l'idée qu'un mort vivant rentre dans notre salon en rampant me coupe vite l'envie de ce souhait. Il est décédé il y a dix mois, d'une foutue maladie incurable et repérée trop tard, nous laissant avec mon frère, sa maison et ses économies en héritage.
Je peux peut-être demander à voir ma mère. Mais pourquoi je le ferais. Elle nous a abandonné, mon père, mon frère et moi il y a déjà vingt ans, sans jamais prendre la peine de prendre des nouvelles. Je ne pourrais même pas la reconnaitre si je la croisais dans la rue. Et l'idée de revoir mon père en mort vivant me semble beaucoup plus attrayante que de la voir elle, revenir la bouche en cœur. Elle n'est même pas venue à l'enterrement, elle a pourtant été prévenue. Une simple carte "mes sincères condoléances", sans un autre mot, signée de son prénom et même pas de "maman", nous a été postée. Rien d'autre. On n'existe plus pour elle, elle n'existe pas pour nous.
Je peux donc peut-être souhaiter qu'on continue à s'en sortir aussi bien avec mon frère, Luke, de deux ans mon ainé. Il est l'homme de la maison désormais, et il prend son rôle à cœur. On n'a pas beaucoup de différence, je suis majeure depuis quatre ans aujourd'hui, et pourtant, depuis qu'on est que tout les deux, il est mon protecteur, celui qui interroge mes petits amis en les mettant mal à l'aise, celui qui prend soin de moi et qui paie les factures. Sans jamais se plaindre, sans jamais craquer, sans jamais regretter d'avoir ce rôle, toujours dans la bonne humeur et avec le sourire. C'est lui mon pilier. Celui qui m'a empêché de sombrer quand on a perdu notre père. L'homme que j'aime le plus au monde et sur qui je peux compter.
Alors oui, alors que toutes les bougies s'éteignent du premier coup, c'est ce que je souhaite. Que rien ne change avec mon frère, que l'on s'en sorte et qu'on soit là, l'un pour l'autre. On n'a besoin de personne d'autre pour s'en sortir, on est fort ensemble et c'est suffisant.
- Maintenant ton cadeau ! s'exclame Luke en claquant ses mains.
- J'avais dis pas de cadeau.
- Et je ne t'ai clairement pas écouté ! répond-t-il un énorme sourire aux lèvres. Suis-moi, il est dans ta chambre.
- Comment as tu fait pour cacher mon cadeau dans ma propre chambre sans que je ne m'en rende compte ? je demande intriguée.
- Pourquoi penses-tu que je t'ai demandé d'aller faire une course ce matin, répond-t-il avec un clin d'œil.
Quand on arrive devant la porte de ma chambre fermée, Luke passe derrière moi et pose ses deux mains sur mes yeux. Puis réalisant le problème puisque la porte est toujours fermée, il enlève une de ses mains, enclenche la poignée, avant de rapidement remettre sa main. Je n'ai eu le temps de rien voir, la porte étant seulement entrouverte. Je le sens l'ouvrir du pied, avant de me faire lentement avancer. Je peux deviner son sourire sans même le voir et je me mets à sourire bêtement rien que de penser au sien.
- Joyeux anniversaire petite sœur, lance-t-il finalement en enlevant ses mains.
Je cligne plusieurs fois des yeux pour me réajuster à la lumière, et surtout pour voir si je ne suis pas en train d'imaginer ce que je vois. Quand je suis finalement sûre de ce qui se tient contre le mur près de mon lit, je crie de joie, et je saute partout avant de me jeter sur Luke. Il me rattrape en riant et me fait tournoyer.
- T'es fou, t'es fou, t'es fou ! je répète alors que mon sourire me fait mal aux joues.
Luke finit par me lâcher, un énorme sourire aux lèvres, avant de m'embrasser la tempe.
- Depuis le temps que tu la voulais.
Devant nous se trouve une coiffeuse baroque ancienne, je passe devant celle-ci depuis plusieurs mois, elle se trouvait dans la boutique d'antiquité qui se trouve dans notre rue. Ce matin encore, quand je suis passée devant la boutique, et que j'ai vu qu'elle n'y était plus, j'avais eu un pincement au cœur. J'économisais depuis tellement longtemps vu son prix, pour pouvoir un jour me l'acheter. Mais voila, elle n'y était plus, et je n'avais pas fait le rapprochement avec mon frère. Maintenant que je la vois posée dans ma chambre je n'y crois toujours pas. Et pourtant, elle est là, dans ma chambre, dans son bois bleu vieilli et avec ses dorures, ses motifs ancien et son petit tabouret assorti. Il ne manque plus que j'installe mes produits dessus.
- Tu n'aurais pas dû, elle coûte une fortune, je finis pas réaliser en serrant mon frère dans les bras.
- Tu le mérites Violette, alors je ne veux pas t'entendre te plaindre.
- Merci, je réponds simplement en le serrant plus fort, avant de le lâcher et de m'assoir sur le tabouret.
Je caresse le bois du bout des doigts et souris au reflet de mon frère dans le miroir. Il vient se placer derrière moi et pose ses mains sur mes épaules en souriant. Ce geste protecteur me rassure, c'est ce même geste qui m'a rassurée de nombreuses fois dans plusieurs circonstances, comme à la mort de notre père.
- Par contre, tu n'as pas intérêt à laisser trainer un foutoir monstre dessus, me prévient Luke en tentant d'avoir l'air sérieux.
- Comme ci de nous deux j'étais la bordélique ! je réplique en me relevant.
Je le prends à nouveau dans mes bras et il me serre fort contre lui. Avant il n'était pas du genre câlin, mais depuis que nous sommes que tout les deux, plus un jour ne passe sans qu'il ne me prenne dans ses bras, et je ne m'en plains pas, j'aime ce contact et savoir qu'on est unis.
- Bon aller, on va manger ce gâteau avant que tu ne sois en retard à ta propre fête d'anniversaire ? demande mon frère en m'entrainant vers la cuisine.
Je me laisse embarquer et me fais servir. C'est rare, alors j'en profite le sourire aux lèvres. Dès demain, je redeviens la femme de la maison. Luke n'est pas machiste, il tente d'aider mais il n'est juste vraiment pas doué pour ce qui est des tâches ménagères. Alors d'un commun accord, après qu'une lessive ait mal tourné et nos vêtements se soient transformés en habits de poupées, on s'est mis d'accord. J'assume le ménage tant qu'il n'en profite pas, et en échange il tente d'être un peu moins surprotecteur. Mais il travaille toujours sur ça.
- Tu es sûr que tu ne veux pas venir avec nous ? je demande alors que je me prépare à partir.
- Certain, je n'ai pas envie de voir ton mec te coller toute la soirée et me coltiner ta copine trop bourrée pour marcher.
Je ris avant de l'embrasser sur la joue. Luke n'apprécie pas réellement mon nouveau petit-ami, et il me le fait comprendre dès qu'il en a l'occasion. Ça ne fait que deux semaines qu'on est ensemble, il finira par l'apprécier j'en suis sure.
- D'accord, comme tu veux. Mais ne reste pas debout à m'attendre ! je l'avertis.
J'ai l'impression de le gronder et de me comporter comme une mère. Non pas que je sache réellement comment agit une mère, mais j'ai pu avoir des aperçus avec les mères de mes amies.
- Seulement si tu me promets de ne pas trop boire, réplique-t-il.
Le côté surprotecteur n'est jamais loin... J'acquiesce, je n'avais pas l'intention de rentrer bourrée de toute façon, je bosse le lendemain et je n'ai pas envie d'arriver avec la gueule de bois au travail. Luke le sait, mais il se doit de me le rappeler tel le grand frère qu'il est.
Je finis donc par promettre de ne pas boire de trop, de ne pas rentrer tard, et surtout de rentrer seule, ce qui le rassure visiblement. Puis je sors finalement insouciante et sans aucun doute sur ce qui m'attend après cette soirée...
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Derrière le miroir : La Coiffeuse Enchantée
ParanormalViolette vit seule avec son frère Luke. Pour ses vingt-deux ans, il lui offre le cadeau qu'elle attendait depuis longtemps : une coiffeuse ancienne. Depuis, ses nuits sont très difficiles, du bruit se fait entendre dans le miroir sans qu'elle ne com...