6. In vino veritas

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L'avenue était noire de monde.

La foule grouillait, s'agitait, les gens se bousculaient. Ils essayaient tous de s'enfuir.
Les alarmes hurlaient depuis plus de dix minutes. Il fallait évacuer, les avions seraient bientôt là.

La panique régnait dans l'atmosphère. Désespérés, les gens essayaient de rentrer dans les buildings, les voitures, partout où ils pouvaient se cacher. Les autres se dirigeaient vers les postes d'évacuation.

Les militaires étaient, eux aussi, complètement dépassés. Ils assuraient comme ils pouvaient le bon déroulement de l'évacuation, bloquée au niveau de l'avant-poste à la sortie de la ville. Mais l'empressement affolé des civils ne fit qu'envenimer la situation.

Plusieurs personnes escaladaient les barrières barbelées pour sortir de la ville, certains essayant en portant même des enfants dans les bras. Malgré les injonctions répétées des militaires, les menaçant de leur armes, ils continuaient d'avancer.

Un coup de feu claqua. Puis plusieurs. S'ensuivit de longues rafales, pas pour intimider, mais pour tuer.


Le contingent armé du nord de Dubaï avait totalement perdu le contrôle de la situation : ils tiraient à balles réelles sur les civils, femmes et enfants, pour les empêcher de dépasser l'avant-poste sans contrôle préalable. Le semblant d'ordre avait laissé place à la folie.

Mais, à un ratio d'un contre cent, ils furent vite dépassés.
Une véritable vague humaine se déversa sur l'avant-poste. Les militaires, complètement dépassés, se firent bousculer, piétiner, massacrer.  Un artilleur posté sur une mitrailleuse lourde, qui tirait sans ménagement sur la foule, se fit attraper par l'arrière puis disparu dans la marée humaine.

L'avant-poste était perdu, les civils prirent les armes puis s'échappèrent de la ville. La guerre civile était lancée. Des balles fusaient et des cris résonnaient.
Bientôt, il ne resterait plus que des corps sans vie.

On pouvait apercevoir les avions qui s'approchaient.

Le nouvel émir de Dubaï avait décrété qu'il était temps de laisser la ville aux mains des anarchistes. A son "grand regret", la seule solution était de nettoyer le mal par le mal, à savoir de purifier la ville dans les cendres et les flammes. Ce qui voulait dire, ne pas faire de distinctions entre les fautifs et les innocents.

L'insurrection avait commencée l'année précédente. Plusieurs hauts dirigeants des Émirats furent assassinés les uns après les autres par des groupes révolutionnaires, aspirant au partage des ressources. Le peuple mourrait de faim : c'était un chaos mondial qui avait contaminé tous les pays surpeuplés, et la crise de Dubaï en était l'épicentre.

La ville n'était plus qu'une zone de non-droit, secouée par les conflits opposant l'armée émirienne aux rebelles.

Dubaï, cité-symbole du luxe et de l'abondance n'était plus que l'ombre d'elle-même. Cette insurrection, relayée dans le monde entier par la presse internationale, surpris autant qu'elle inspira les foules.

Ici, l'ordre de mission de l'aviation était clair: stopper la guérilla en bombardant les points chauds de la ville, considérés par les renseignements comme étant les quartiers généraux des insurgés.

Le véritable but de ces manœuvres était de dissiper le danger que représentait le peuple pour les dirigeants, qui constituait la populace rebelle: la guerre des riches contre les pauvres avait commencée. L'État bombardait ses propres citoyens, pour sa sécurité.

Kader leva les yeux vers le ciel. Il n'avait pas cherché à se joindre à la foule qui, telle une seule bête sauvage, s'était sorti de cette situation en défonçant la porte d'entrée, sortant crocs et griffes pour se frayer un chemin vers la rédemption. Le désespoir l'avait gagné bien avant.

Chroniques du monde poussiéreuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant