Chapitre 3 {V}

1.3K 115 36
                                    


Je suis heureuse que la maison soit meublée. Que quelques trucs restent encore là. Comme mon lit par exemple. Et pratiquement toute ma chambre en fait. Les gens n'osent plus rentrer pour tout casser, parce que d'autres sont sortis en courant. Des vitres sont brisées, l'électricité ne marche pas tout le temps. J'ai même du mal à comprendre comment on a encore de la lumière certains jours.

De ma chambre je vois toujours le petit bus noir qui passe, pour raconter une version - inventée à partir de la découverte de nos cadavres – de nos morts. Pas de la mienne. Personne ne sait que je suis morte. Constance a raconté que j'étais partie avec le bébé. Putain. S'ils savaient. C'est hallucinant que les seules histoires vraies que l'on raconte dans ce bus à propos de cette maison, soient celles de Charles et Nora.

Le chirurgien fou est d'ailleurs celui que l'on voit le moins. Il n'est là que si on a besoin de lui pour faire fuir des gens assez abrutis pour acheter la murder house. J'ai l'impression que c'est celui qui vit le mieux le fait d'être mort. L'homme, toujours en blouse blanche, reste dans un recoin du sous-sol. Il me semble ne l'avoir vu errer dans la maison qu'une ou deux fois. Son regard était sans cesse dans le vague. Comme un flottement lointain.

Une fois de plus, les escaliers grincent sous mes pieds, quand je monte dans ma chambre. J'y reste moins souvent, certes. Mais je préfère être là. Je ne sais pas pourquoi. Ça me donne l'impression d'être vivante à nouveau. D'avoir à nouveau le choix. De pouvoir sortir, marcher dans la rue. Aller au lycée.

Je soupire. Il faut que j'arrête d'y penser. Ça sert à rien d'y penser. C'est fini, cette vie. Maintenant, les sorties, c'est Halloween. C'est tout.

Mes mains poussent la porte encore entrouverte et je m'affale sur les draps. Je ne sais plus si je dors, depuis le temps. Si je ferme les yeux, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Une seconde. Une minute. Dix, vingt. Ou bien une heure, deux ou dix. Je déteste ça. Putain.

En soupirant une énième fois, je me redresse et m'assois en tailleur sur le lit. Je relève la tête, contemplant les murs et le plafond. Et mon regard s'arrête sur le tableau près de la porte. Je saute sur mes pieds et je me poste devant. C'est pas vrai. Mon nez et mes yeux me piquent. Mon ventre se tord, ma gorge se noue et ma vue se trouble. Non. Il ne pouvait pas me faire ça...

Calme toi Vi'. C'est rien. C'est rien. Prend juste la brosse et efface. Prend la brosse et efface tout.

Mes doigts se crispent contre la-dite brosse. Une boule se forme au creux de ma gorge. J'en ai envie. Mais je ne peux pas. Je relâche mon emprise et la laisse tomber sur le sol. Dans un petit bruit sourd, elle rebondit une fois avant de venir se coucher sur les planches.

Un petit nuage de poussière s'élève du parquet.

Inspirer, expirer.

J'essaye de respirer le plus calmement possible. De fermer les yeux. C'est con comme juste une phrase peut me bouleverser. Je n'ai jamais eu peur, de rien. Pas de toutes ces pouffiasses qui me haïssaient. Jamais. Mais là c'est différent. Je ne veux pas que mes parents voient ça. Je ne veux pas qu'ils repensent à lui. J'aimerais qu'ils l'oublient. Que tout le monde l'oublie. Que sa tête blonde ne soit plus qu'un mirage, qu'une image au loin. Quelqu'un à la frontière du réel. Comme les vieux souvenirs qui nous remontent comme des rêves tellement ils sont imprécis. Du rêve au cauchemar. Dans un petit soupir, je ramasse du bout des doigts la brosse et la colle contre la dernière lettre.

Inspirer, expirer.

Il faut l'oublier. Passe à autre chose. Oublie, Violet. Oublie-le.

Et la brosse balaye les mots. Laissant une large traînée blanche devant mes yeux. 

I'll never say it - ViolateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant