Chapitre 4 - Ça suffit !

83 11 5
                                    

J'haussai un sourcil circonspect, on ne peut plus surprise par sa révélation.

« Pardon ? »

Le spécialiste sourit nerveusement avant de répéter ses dernières paroles.

Alors là, c'était le pompon. Comme si j'avais besoin d'entendre de pareilles conneries.

Je secouai lentement la tête de gauche à droite, les yeux plissés, un air de dégoût déformant légèrement mes traits déjà fatigués. Je le toisai ainsi quelques secondes avant d'ajuster la lanière de mon sac sur mon épaule, puis mes pas me guidèrent instinctivement vers la sortie, silencieusement, tel un zombie déprimé par un manque de chair humaine. Je l'entendais bien me héler encore, mais ses mots ne parvenaient qu'à peine à mes tympans cotonneux, d'autant plus que je n'avais même pas l'envie d'ouïr un mot supplémentaire ni ses galéjades ridicules.

D'origine inconnue. Sérieusement, pourquoi fallait-il que tout ce qui concernait ma vie entière se résumât à l'inconnu ? De mon berceau au jour présent ?

Je poussai les portes vitrées de l'hôpital que nettoyaient deux hommes en braillant et en buvant leur bière en canette à bas prix. Tandis que mes chaussures foulaient le sol goudronné et gelé par endroits, je me rattachai les cheveux en un chignon lâche, le temps d'arriver au Rainbow. J'enfonçai mes écouteurs dans les oreilles et lançai la musique de mon téléphone en mode aléatoire. La première chanson* commença et revigora un peu mes états d'âme.

Une fois face à la devanture du bar, je rangeai mes affaires dans mon sac et poussai la lourde porte qui fit sonner la clochette, prévenant mon arrivée. La chaleur humide et l'odeur de bière et de transpiration submergea mes sens insensibilisés par le froid extérieur. J'enlevai ma veste et mon écharpe en un geste machinal, les déposai sur le comptoir, et m'installai sur l'un des hauts tabourets encore libres.

Les coudes posés sur le bar, j'enfouis ma tête dans mes mains et abaissai mes paupières en expirant longuement. 

Le bruit d'une pression déposée un peu trop violemment devant moi me fit rouvrir subitement les yeux. Je fronçai les sourcils et me redressai, farfouillant du regard parmi les clients du pub bondé afin savoir qui m'avait offert cette bière. C'est alors qu'à travers les vieilles loques aux quelques dents jaunes restantes et aux yeux vitreux qui s'essayaient maladroitement au flipper, et les guignols qui gueulaient des paroles incompréhensibles autour du billard abîmé, je l'aperçus. Lorsqu'il le remarqua, il me salua d'un simple geste de la main et reprit sa discussion avec la personne qui l'accompagnait. Je fixai donc ma choppe, haussai les épaules, et la tête à nouveau posée dans l'une de mes mains, bus de grosses goulées. Après quelques poignées de minutes en tête à tête avec moi-même, j'en commandai une autre.

« Journée difficile ? »

Je tournai la tête en direction de la voix masculine qui s'était élevée sur ma gauche. L'homme, où plutôt le jeune homme de tout à l'heure était assis à quelques centimètres de moi, et détaillait mon visage de ses prunelles grises. Je me demandai quand était-ce qu'il s'était déplacé, et aussi discrètement. À moins que mes pensées n'eurent été trop bruyantes à ce moment-là.

« Votre compagnon vous a abandonné ? » le questionnai-je à mon tour en désignant du menton l'endroit où ils se trouvaient tous les deux il y a quelques minutes.

Il échappa un léger rire et détourna le regard sur son verre qu'il tenait penché et dont il faisait cogner les glaçons contre les parois.

« Il avait autre chose à faire. »

Ma seconde pinte arriva et je la portai à mes lèvres. La mousse me chatouilla le philtrum.

« Sans doute quelque chose de plus raisonnable que de mettre des glaçons dans son whisky », remarquai-je en levant les yeux sur lui.

Trojan (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant