Chapitre 5 - Origines

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Je voulais vous dire que c'était un chapitre un peu bateau (et assez court) et que je m'en excusais.

Sinon, enjoy !

(et le dessin est de moi)
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Je la toisai. À mon âge, elle autant que mes parents auraient dû m'en parler, m'expliquer, me briefer. Faire quelque chose ! Mais ils avaient choisi l'attente. Elle décroisa ses jambes et posa ses pieds au sol, les genoux écartés et les mains jointes entre ses cuisses, puis se lança dans un monologue.

« Quand tu as débarqué j'étais tout juste majeure. On était tous là à t'attendre dans le couloir de l'entrée, avec Papa Maman et même Jacob -elle grimaça à l'énonciation de son ex-petit ami. Les employés de la DDASS ont finalement sonné à la porte et c'est Papa qui a ouvert. Une dame tenait la main à une petite fille d'environ cinq ans, silencieuse et au regard franc, avec une parka jaune et la capuche rabattue sur des cheveux châtains tressés en deux nattes égales. Cette petite fille ne souriait pas, mais elle s'est contentée de me fixer avec ses grands yeux noisette ; tu étais enfin là. J'étais touchée d'être celle sur laquelle tu portais une première sorte d'attention, mais mal à l'aise de cette insistance à la fois. Toi tu n'as rien fait en retour ; tu es restée ainsi plusieurs secondes puis tu as lâché la main de la dame, et sans plus me regarder, ni moi ni personne, tu es partie dans le salon et tu t'es assise sagement sur le fauteuil, le regard dans le vide.
« Avec les parents, on a échangé un regard troublé tandis que l'employé de la DDASS souriait d'un air gêné. Elle a pris Papa et Maman à part et leur a parlé de quelque chose qui semblait assez important vu le ton qu'elle empruntait. »

Elle fit une pause pour me sourire et grignoter les chips restantes sur table basse.

« Une fois partie, on t'a rejoint dans le salon. On t'a ôté ton manteau et on t'a proposé quelque chose à manger. Et là tu as agi très étrangement, tu as souri d'un sourire éclatant l'espace d'un instant, puis la seconde d'après ton visage et redevenu terne et froid. Comme si tu jouais un rôle. Maman m'a un jour expliqué en résumé ce que la dame lui avait dit ce jour-là : "Elle est différente ma chérie, mais c'est parce qu'elle ne sait pas comment agir, elle est amnésique et son émotivité est très réduite ; c'est un peu une forme d'autisme. Elle ne se souvient de rien avant ces quelques mois derniers, ni comment agir, ni comment parler, ni même comment aimer ; il va falloir être patients et compréhensifs. Car elle a néanmoins une capacité d'attention immensément plus grande que la notre. Elle doit prendre quelques médicaments et consulter des médecins spécialisés régulièrement, car c'est une maladie assez difficile à gérer. Ne la brusque pas trop, d'accord ?"
« J'avais acquiescé et j'ai pris soin de toi comme une véritable sœur. Vers tes onze ans, tu commençais à saisir ce qu'était une émotion, et même à le ressentir. Comme si tu t'humanisais en quelque sorte. »

Elle avala quelque gorgées de thé glacé, comme si elle s'apprêtait à parler de quelque chose de plus douloureux, tandis que ce flot d'information m'impressionnait : pourquoi avais-je si peu de souvenirs de mon enfance, de ce comportement ?

« Et puis l'accident de Papa et Maman est arrivé. Tu étais alors en Cinquième. Leur mort t'a pas affectée sur le coup, mais au retour de l'enterrement, tu as fondu en larmes. C'était la première fois que tu pleurais Charlie. J'en étais bouleversée. Tu n'as plus parlé pendant un an, tu t'en souviens de ça, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle, et j'hochai la tête en signe de confirmation.

Un virage raté, un pont ébranlé, le choc, la voiture coulée et deux morts. Un accident typique, déjà vu, déjà entendu, mais lorsque le sort s'acharne sur des personnes qui vous sont proches, votre cœur est réduit en bouillie, votre peine est écrasante et incompréhensible. 

Comment oublier ?

« Et puis lorsque je suis devenue ta tutrice légale, ton changement a progressé considérablement, tu es devenue presque.. "normale". Tes actes, tes paroles, tout. Et la suite, tu la connais.. »

Durant la fin de mes années lycée, on m'avait décelé ce début de schizophrénie. Et Noah avait pété les plombs, parce qu'il n'y avait jamais cru. D'après lui j'avais juste eu une enfance difficile mais j'étais moi, j'étais quelqu'un et quelqu'un de sain. Il avait toujours refusé d'admettre que parfois mes agissements étaient anormaux. Il attribuait ça simplement à un manque de sociabilité, que j'étais juste trop introvertie, mais que c'était simplement dû à ma personnalité.

Mais No était parti. Il avait trop subi mes changements d'état. Il ne me supportait plus, c'était sûr.

« Charlie ? »

Ma sœur me tira de mes pensées obscures, et je choisis de laisser mon sentiment de peine de côté. Il fallait que j'en sache plus.

« Violette, tu n'oublies rien ? N'y a-t-il rien d'autre ?

— S'il y avait autre chose à savoir, ce secret s'est envolé avec l'âme de Papa et de Maman», me répondit-elle, désolée.

J'opinai silencieusement, consciente de l'effort de mémoire que je lui imposais. Elle n'y pouvait rien, de toute manière. Je la remerciai et passai un peu de temps avec elle à zapper, à me moquer des participants de télé-réalité. Elle n'avait rien dit par rapport à mon manque de réaction quant à son récit, ni concernant la raison pour laquelle je m'intéressais soudainement à ces choses-là. Je la remerciais intérieurement pour ça, de m'accepter ainsi. 

Lorsque la fatigue prit le dessus, je lui embrassai la tempe et partis dans ma chambre sans mot dire. Je m'allongeai de tout mon long sur le dos, et saisis mon téléphone. Ma journée avait été éreintante. Lorsque je regardai mes notifications, la déception me tordit l'estomac : aucun message de mes quelques amis restants, ni de No. Pourtant lorsque je traînais sur les réseaux sociaux, je vis que son activité récente datait de dix-sept minutes exactement.

J'hésitai un long moment puis cédai et lui envoyai un message :

Hey. Accompagne-moi demain à la DDASS. Si tu le souhaites évidemment. Bonne nuit.

Je verrouillai mon téléphone, attendis, et le cours de ma soirée me revint à l'esprit. Un inconnu connaissait mon nom, il m'observait, il m'avait même franchement draguée. Qui était-il ? Me suivait-il même jusque chez ma sœur ? J'avais bien envisagé de m'embarquer sous ses draps pour qu'il m'oubliât, surtout qu'il n'était pas vraiment laid, mais s'il me stalkait réellement, il ne me lâcherait plus au contraire et ce même si je le lui précisais dès le départ.

Je soupirai et ne gardai que mon shorty pour dormir. Ma journée fut terrassante, c'est pourquoi Morphée m'emporta dans ses bras dans la minute qui suivit.

Trojan (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant