Chapitre 8 - Coïncidence

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Nadège saupoudra généreusement du persil dans sa soupe aux champignons. Elle se tenait excessivement droit et son visage affichait une façade supérieure et suffisante. Le petit restaurant dans lequel nous nous trouvions semblait tout juste refait à neuf, à l'exception des sièges capitonnés dont le rouge tirait par endroits sur un rose très délavé. Les jambes nonchalamment étendues sous la table collée au mur en moquette, je saisis ma fourchette et entamai ma part de lasagnes aux courgettes et au fromage de chèvre, me brûlant la langue au passage. Je bus un verre d'eau pour calmer la douleur et Nadège finit par rompre le silence la première.

« Alors ? »

Le verre calé entre mes dents je levai les yeux sur elle, me stoppai une demie seconde, et avalai une dernière goulée avant de lui répondre par une autre question.

« Comment va Maxence ?

Il va bien. Mais je ne pensais pas avoir à parler de mon fiancé avec toi dans l'immédiat. »

Elle brandit le dos de sa main gauche entre nos deux têtes, me permettant ainsi d'examiner le solitaire qu'elle portait à l'annulaire.

« Félicitations, c'est pour quand ?

De quoi voulais-tu me parler Charlie ? » s'exaspéra-t-elle en replaçant une mèche folle derrière son oreille, son inquiétude ne l'ayant manifestement pas quittée.

Je posai mes couverts, joignis mes mains, fis craquer mes doigts, puis je m'humectai les lèvres et leur fis émettre un léger claquement avant d'aborder enfin le sujet attendu.

« J'ai besoin de tes compétences en piraterie, Jack Sparrow.

Capitaine Jack Sparrow, me reprit-elle, un éclat de malice décelable dans le coin de son oeil lorsqu'elle saisit mon insinuation. Je suppose qu'il ne s'agit pas simplement d'humilier son ex sur Facebook cette fois-ci.

— En effet, opinai-je en souriant à l'évocation de ce souvenir.

— Je t'écoute.

Il faudrait que tu introduises les serveurs privés de la DDASS. Enfin, de l'ARS. »

Elle fronça les sourcils, et cessa de remuer à l'aide de sa cuiller son velouté encore fumant circulairement au centre de son assiette.

« Pourquoi ça ? Tu ne peux pas simplement leur dire bonjour et leur demander directement ?

— Je n'aurais pas sollicité ta précieuse aide autrement.

T'as essayé les yeux doux, le décolleté plongeant, ou une proposition plus suggestive encore ?

— Nadège ! » fis-je mine de m'offusquer.

Elle rit pour la première fois depuis nos retrouvailles mais recouvra rapidement son sérieux. Elle sembla réfléchir, tout en ingurgitant tel un ours affamé de grosses doses de son potage, puis elle plongea son regard clair et franc dans le mien.

« Accéder à un dossier confidentiel ? C'est du nanan. Je suppose que par contre, je n'aurais aucunement le droit de lire moi-même ce qu'il contient ? »

Un sourire gêné étira mes lèvres, lui confirmant la justesse de son raisonnement. La pauvre Nadège ignorait quasiment toutes les raisons de tous les questionnements qui régissaient ma vie. Non pas parce que je n'assumais pas mes problèmes mais parce que je souhaitais la protéger, j'ai toujours été ainsi ; excessivement protectrice. Elle était uniquement au courant de mon adoption. J'avais volontairement souhaité lui épargner les informations et leurs détails les plus dérangeantes, et malheureusement bien trop envahissantes lorsqu'on est attaché à la personne à laquelles elles appartiennent, ce qui devait aujourd'hui lui torturer les méninges. Mais sachant qu'il ne s'agissait pas la d'un manque de confiance en elle, elle l'acceptait et ne s'en sentait pas insultée. Il fallait sacrément tenir à moi pour supporter une telle ignorance. Par ailleurs, ignorance n'était pas le bon terme ; Nadège me connaisait plutôt bien malgré tout, ce qui faisait d'elle une personne chère à mes yeux. La garder en dehors de ma vie était nécessaire à une future continuité dans notre amitié.

« Je m'occupe de ça dans la semaine, m'assura-t-elle en raclant le fond de son assiette pour récolter les restes.

— Merci. Beaucoup. »

Elle expédia mes remerciements d'un revers de la main et s'apprêtait à parler à nouveau lorsqu'un haussement de voix éclata dans le restaurant, suivit d'un claquement sonore. Une femme élancée à la chevelure rousse mais aux racines brunes slaloma les tables et les clients tel un chien enragé, les joues cramoisies, en direction de la sortie. Elle cria une ultime insulte et claqua la porte en verre, si bien que j'eus peur qu'elle explosâte. Lorsque je cherchai la source de son énervement théâtral, j'eus un hoquet de surprise ; de longs cheveux dorés, une légère barbiche, un nez trop large, et un rictus amusé en dessous d'une joue rougie ; le pervers du Rainbow avait à nouveau frappé. Enfin venait de se faire frapper. Une onde de satisfaction chauffa mon ventre.

« Encore un lâche, conclut Nadège.

— Une queue ambulante ouais, la rectifiai-je.

— Encore aurait-il fallu qu'il en ait une. Un lâche je te dis. Une couille molle. Une petite bite. »

J'explosai d'un rire sonore en entendant les mots prononcés par mon amie avec tant d'agacement. Cette dernière me considéra, le sourire aux lèvres et un sourcil relevé, comme si ma réaction avait été atrocement excessive. Il fallait croire qu'elle m'avait manquée.

Lorsque je tournai la tête à nouveau en direction du type dont j'avais jeté le numéro à la poubelle, ses prunelles m'épiaient tel un prédateur. Il avait dû entendre mon excès de joie.

« Qu'est-ce qu'il veut, il a pas eu sa dose ? » s'indigna Nadège.

J'haussai les épaules et avalai la dernière bouchée de mon plat. Un tintement bruyant se mit maintenant à résonner parmis les tables. Ledit Georges cognait sa cuiller à café contre son verre, et lorsque mon regard s'attarda inévitablement dans le sien, il mima un téléphone avec sa main libre, une expression narquoise modifiant ses traits.

« Dites moi que je rêve ! s'exclama Nadège.

— Tu rêves.

— Putain il vient de se faire humilier et il te drague ! Il cherche le bâton pour se faire battre le con.

— Il faut croire », approuvai-je en offrant mon majeur au blond.

Le destinataire posa son index sous son oeil et le fit glisser le long de sa joue, puis enfonça sa lèvre supérieure derrière sa babine inférieure pour interpréter une fausse tristesse. Il se foutait de ma gueule ! Alors que j'allais l'ignorer définitivement, je le vis se lever et marcher en notre direction. Quel lourdingue.

Je me levai subitement à mon tour.

« Tu veux un dessert ?

— Euh, oui ? »

Je passai ma main sur mon visage.

« Mauvaise réponse, barrons nous avant qu'il ne vienne nous les briser, lui ordonnai-je presque.

— Eh Charlie, ne t'enfuis pas à nouveau, comment vas-tu ? m'interpela-il tout de même en secouant la main au dessus de sa tête, l'autre faisant office de mégaphone.

— Putain mais tu le connais !

Non ! »

Et c'était la stricte vérité. Je ne connaissais pas ce mec, mais il commençait sérieusement à me faire voir tout rouge.

Arrivant plus vite que prévu à notre hauteur, il frôla ma tempe de sa joue et murmura à mon oreille avant d'aller déposer l'argent de son repas à l'entrée et de quitter le restaurant, me laissant figée aux côté d'une Nadège déboussolée :

« Tu ne sais pas qui je suis, mais je sais qui tu es. »

Trojan (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant