Chapitre 7 - Nadège

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Les quelques pièces qui dépérissaient dans mon porte-monnaie me servirent à entretenir mon estomac ruminant grâce à la boulangerie du coin. Installée sur un banc en bois, je croquai dans mon beignet au sucre d'un air songeur. Quelques grains de saccharose s'échouèrent sur mon jeans ciré noir ce qui, à la longue, finit par attirer les divers oiseaux du parc.

J'hésitais à renvoyer un message à Noah pour lui expliquer brièvement comment s'était déroulée cette courte entrevue, mais ma raison choisit de persister dans l'ignorance.

Une fois repue, je levai les yeux sur les nuages qui couraient dans le ciel à une vitesse folle, masquant parfois les quelques rais du soleil matinal. Mes yeux se remplirent progressivement de quelques lourdes larmes bien vite ravalées. Comment supporter tout ceci, comment faisais-je pour résister encore alors même que ce "tout" se dégradait au lieu de s'améliorer ? Qu'avais-je bien pu faire d'aussi mal ? Endurer n'était pas vivre, mais survivre. Voilà tout ce que j'avais toujours recherché, jamais trouvé : une vie véritable, dans laquelle le moindre accomplissement ne serait pas effectué dans l'effort forcé, et dans laquelle chacun de mes sourires serait sincère.

Alors que je cherchais rigoureusement mon mobile dans le foutoir qu'était mon sac, mes doigts rencontrèrent un papier froissé coincé entre deux pages d'un livre de Woody Allen. Je reconnus précisément de quel papier il s'agissait par sa couleur orangée. Mes dents mâchouillèrent ma lèvre inférieure un instant lorsque je louchai sur le numéro qui y était inscrit, indécise. Je finis par le chiffonner à nouveau et le jeter dans la poubelle avec l'ancien emballage de la viennoiserie que j'avais avalée, avant de saisir mon téléphone et de contacter Nadège pour la première fois depuis au moins deux millénaires.

« Charlie ? » entendis-je après seulement deux sonneries.

Elle avait gardé mon numéro, ce qui était bon signe.

« On peut se retrouver ce midi ? » osai-je lui demander en ommettant mes habituels principes de formules de politesse exigées.

Je ressentis sa gêne à travers le combiné, et elle se confirma à l'entente des trémolos de sa voix

« C'est bien toi ? Est-ce que ça va ? Que s'est-il..

Nadège, s'il te plaît. »

J'imaginai son visage contrarié et ses lèvres pincées lorsque le silence s'installa. Si elle disait oui, je pourrai dire adieu à ma vie d'hermite.

« Onze heures trente devant la boutique », répondit-elle soudainement avant de raccrocher.

J'arrivai avec un retard de dix minutes tout au plus sur le trottoir qui faisait face à la vitrine, devant laquelle attendait ma vieille amie une cigarette industrielle à la main, son regard trahissant son stress. Elle fit tomber les dernières cendres et restes de tabac en roulant le filtre entre ses doigts avant de le lâcher et de l'écraser sous ses baskets. Sans me remarquer de l'autre côté, elle zieuta la rue en réajustant son bandeau sur ses cheveux bruns noués en une queue de cheval haute.

Lorsque je traversai enfin, ses iris d'un bleu opalin me transpercèrent. Comme si ma propre mère me réprimandait, elle m'attrapa le haut de l'oreille et le tira vers l'intérieur de son petit commerce floral.

« Six mois ! » s'exclama-t-elle après m'avoir lâchée et avoir levé les mains en l'air.

Elle fit les cents pas, courroucée, et saisit un pot de bégonia rose qu'elle me flanqua sauvagement dans les mains et que je failli lâcher sous la surprise.

« Sur l'étagère du bas », m'indiqua-t-elle avant de retrouver son ton agacé.

J'obtempérai silencieusement, consciente de la légitimité de son envolée colérique, et complétai l'étal de bégoniacés.

« Six mois sans nouvelles ! Noah est passé lui, de temps à autres. Mais toi, toi ! »

Elle enfonça son index dans l'espace entre mes deux seins.

« Je t'en veux grave. »

Elle se détourna et s'éclipsa dans la remise. Elle n'avait pas changé ; elle était restée d'une incroyable émotivité, et sensible, dynamique et maternelle, tout ceci étant vainement masqué par une froideur qui la protégeait de ces faiblesses.

Lorsqu'elle refit son apparition dans la pièce qui embaumait un délicieux mélange de parfums, elle revêtait une robe en laine bleu marine qui moulait son corps jusqu'aux genoux. Ses jambes couvertes de fins collants d'un noir opaque étaient rehaussées de bottines à talons marron clair. Une frange tombait sur son front jusqu'au dessus de ses yeux turquoise, et le reste de son épaisse chevelure s'échouait souplement sur ses épaules qu'elle masquait désormais d'un lourd trench aux teintes grisâtres. Son coefficient de séduction n'avait pas bougé d'un pouce. Elle était d'une beauté époustouflante malgré la simplicité de son accoutrement.

Elle arriva devant moi et m'attrappa par le coude.

« Allons manger »

N'ayant ni pu, ni osé prononcer un mot depuis nos retrouvailles, je lui répondis d'un sourire espiègle en la regardant tourner la clé dans la serrure de la porte de son magasin.

« J'ai besoin de toi », lui avouai-je d'un air qui se voulait détaché.

Elle colla une cigarette dans le coin de sa bouche se l'alluma en me tendant son paquet ouvert.

« Je ne fume que de l'herbe, refusai-je.

— Je sais, et j'accepte. Mais tu m'en devras une. »

Et je compris que sa réponse n'était pas destinée à mon refus, mais à ma demande : Nadège acceptait de m'aider.

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Trojan (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant