Chapitre 3 - Départ (corrigé)

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La poubelle se remplissait inexorablement de boulettes de papier sèchement froissées. Des dessins ratés, des idées confuses à peine mises en page, des couleurs dépassant les bordures de ses traits noirs, et celles de son imagination, des mots bâclés car composés de lettres tâchées à cause d'une calligraphie baveuse et amatrice ; tels étaient ses échecs quant au devoir qu'elle devait rendre dans deux jours, à huit heures précises.

Le thème ? "Montagne".

Les montagnes russes ; celles du cœur, celles des parcs d'attraction, le Mont Everest, le volcanisme en Sicile ou en Islande, siffler là-haut sur la colline... La montagne du boulot qu'il lui reste à faire, et celle de fringues qui s'entassaient petit à petit dans le coin de sa chambre.

Elle colla le dos de sa main contre son front, les doigts serrés et les yeux fixant la pointe de son stylo à micro pigments ouvert dans son autre main.

Pas. La. Moindre. Inspiration.

Chacun des ces mots prononcés dans sa tête s'étaient accompagnés d'à-coups synchronisés de son poing sur son crâne. Elle se surprit à maudire son professeur d'Art dont elle aimait pourtant particulièrement les cours et méthodes d'apprentissage.

« T'es chiante, poses-toi une bonne petite heure au lieu de ruminer inutilement sur ton bureau. »

Elle n'aurait jamais dû inviter Noah chez sa sœur. Ce dernier gisait tel un adolescent en lendemain de fête sur son océan de stylos et de papiers au pied du lit en bois de chêne, et semblait considérablement s'ennuyer ; il faisait s'entrechoquer des capuchons entre eux. Charlie soupira et les lui arracha des mains. Ces derniers mois, il l'exaspérait beaucoup. Il semblait impatient, et son comportement régressait jusqu'à presque ressembler à celui d'un enfant de 10 ans. De plus, sa susceptibilité grandissait, de la même facon que diminuait son quotient intellectuel.

« Je n'ai pas le temps, lui répondit-elle, agacée.

— C'est bien ça : t'es chiante.

— Casse-toi putain ! » l'incendia-t-elle automatiquement en lui lançant les capuchons pourtant tout juste confisqués.

Il en attrapa un en plein vol et se prit une boulette de papier dans les naseaux. Réprimant un sourire, il les lui jeta en retour.

« Mais à quoi tu joues ? » vociféra-t-elle en les évitant de peu.

Il cala sa tête sur le bord du lit et la regarda en biais.

« Tu es vachement trop sérieuse. C'est chiant, répéta-t-il, le nez froncé. Ça fait depuis quatorze heures que tu planches. Il est vingt-et-une heure Cha, et tout ça pour quoi ? Ne rien pondre, du tout. Et être des plus désagréable. Tu sais aussi bien que moi qu'il faut savoir s'arrêter pour prendre du recul. Je te trouve simplement une solution, t'es pas obligée de réagir excessivement mal. »

Elle soupira, en effet franchement agacée. Elle ne savait pas si c'était bel et bien son comportement qui lui déplaisait actuellement ou s'il s'agissait de la fatigue qui jouait sur ses nerfs. Une chose était sûre, elle le supportait avec difficulté. Non, il fallait être honnête : elle ne se supportait elle-même pas. Elle avait cette impression qu'une épée de Damoclès la menaçait depuis les cieux, que des fils invisibles manipulaient son destin. Elle étouffait. Surtout depuis son semblant de crise d'épilepsie de la semaine passée.

« Fiche-moi la paix. »

Il haussa les sourcils et son visage se tordit en une grimace qui s'approchait de celle qu'il faisait lorsqu'il ne parvenait pas à saisir le sens d'une phrase. Une tête affreuse en soi.

Il se leva, lentement, sans la lâcher du regard. Et son sourire s'évanouit dans la seconde qui suivit.

« Je ne suis pas ton sous-fifre Charlie Martin, articula-t-il avec soin. Je veux bien encaisser les coups durs pour toi, être la quand ça ne va pas. Mais quand est-ce que tu me laissera être là également quand ton moral est au beau-fixe ? Ça fait un an que le diagnostic est tombé, un an que l'on t'a dit que tu souffrais de cette foutue connerie, et un an que tu te comportes comme si c'était réellement le cas et que par conséquent, tu te démènes inutilement dans tes études pour oublier. Mais également un an que tu délaisses tout ton entourage et creuses ta tombe, au Rainbow ou dans n'importe quel autre endroit. Tu t'es prise pour Shakespeare 2.0 : te troncher la gueule ou te faire troncher, telle est la question c'est ça ? »

Trojan (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant