Chapitre #2 : Le reflet.

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Le peignoir en soie glissait sur ses épaules. La caresse de l'étoffe était liquide. Son corps tout entier était baigné dans la douce lueur verte qui éclaboussait les vitres de son appartement. Le panneau publicitaire qui occupait la totalité du toit de l'immeuble en face était la source de l'éclairage atypique mais elle l'aimait bien. Il lui rappelait ces soirées folles sous les néons brulants des boites de nuit. Elle posa un index sur la baie vitrée, tentant de se rapprocher de cette lueur avant de l'abandonner. Elle fit volte-face. Ses pieds nus au contact du sol glacé lui transmettaient un sentiment de légèreté absolue.

Comme si la température glaciale du sol anesthésiait ses terminaisons nerveuses, étouffait sa sensation de gravité et lui permettait de flotter.

Elle flotta donc jusque sa chambre.

La pièce était spacieuse et l'imposant lit à baldaquins en occupait la majeure partie. Elle glissa dans la salle de bain attenante où une grande douche tutoyait une baignoire immense.

Mais l'attraction principale de la pièce occupait tout un mur. Un miroir. Immense. Baigné dans une douce lueur claire. Le peignoir tombe au sol dans un bruissement soyeux.

Elena aimait son corps.

Elle aimait ses seins ronds et fermes, ses hanches très légèrement plus larges que son ventre, ses cuisses galbées, ses longues jambes étourdissantes. Elle aimait ses cheveux bruns ondulés qui tombaient en cascades jusque ses côtes fugaces. Elle aimait ses yeux bruns en amande, ses pommettes hautes et son teint pâle, ses lèvres roses et le moindre des grains de beauté qui parsemait son corps.

Elle tenta de s'imaginer plus vieille et la seule pensée la dégoûtait. Ses mains parcouraient son visage lisse et elle tentait de l'imaginer sillonné, le teint gris, les cheveux ivoires. Elle visualisait ses seins tombant ses hanches garnies, son ventre fripé.

Voyez-vous, Elena avait de ces imaginations visuelles subversives. Qu'on prononce à son oreille quelques mots et c'est toute une scène qui se joue dans son crâne. Là était sûrement sa plus grande faiblesse, un esprit prompt à l'espièglerie, à la malice, et à l'impossible. Malgré tout le sang qui entachait ses mains, elle était naïve. Sa peau claire, presque brillante, semblait n'en resplendir que plus de se savoir marquée de l'abjecte peinture du sang.

Elena secoua la tête pour chasser de son esprit les images qui la révulsaient. Les mains tremblantes, elle fouilla dans le tiroir du petit meuble de sa salle de bain. Elle en extirpa un flacon remplit de gélules et s'appliqua à en avaler trois. Les petits cachets se frayaient un chemin dans sa gorge et elle les recevait avec un soulagement immense.

Comme si sentir ces minuscules fragments blancs se perdre dans ses entrailles l'immunisait totalement de toute menace extérieure. Elle se sentait mieux.

Elle prit une douche interminable pendant laquelle elle s'appliqua à méthodiquement frotter tout son corps à la pierre ponce. Avec la hargne d'un forcené, elle s'enflammait l'épiderme, détruisant froidement chaque cellule de sa peau.

Elle frottait si fort que, par endroit, le sang perlait. Elle essuyait rageusement les larmes qui perlaient à ses joues, concentrée sur le vide béant qui semblait avoir remplacé son cœur dans sa poitrine. Elle haussa la température de l'eau qui se fit bouillante. Si sa peau rougissait à vue d'œil, brulée par le jet, l'intérieur de son corps s'obstinait dans son désert glacé.

Les poings de la jeune femme s'écrasèrent contre le carrelage sombre du mur de la cabine de douche. Elle ouvrit la bouche pour laisser le flot brûlant pénétrer dans son corps. Ses sanglots lui firent cracher immédiatement tout le liquide qu'elle tentait en vain d'ingérer. Elle glissa au sol et finit par se recroqueviller sur le sol de la douche.

L'eau battait son corps, battait son cœur, battait ses tempes.

L'eau battait inlassablement son âme avec la fureur d'un donneur de question en recherche avide de hurlements.

Oui, Elena aimait son corps.

Elena aimait ses seins ronds, ses hanches sveltes, ses jambes étourdissantes et ses pommettes hautes. Si seulement le vide qui la rongeait de l'intérieur ne l'avait pas rendue insensible à la beauté du monde.

AbsintheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant