Absinthe

Chapitre #11 : Consommation

                  

Alex et ses amis passèrent bruyamment devant l'entrée de ABSINTHE CO. en chahutant. Camille salua la femme magnifique qui en sortait en remettant ses gants rouge. Elle lui lança un sourire parfait qui, étrangement, le rendit mal à l'aise.

Certaines personnes ont de ces sourires qui, bien loin de rassurer, se contentent de calmement vous démontrer la force de son possesseur. Ils semblent renfermer, en une mince fente, le reflet hanté de tous les secrets qui se cachent quelques centimètres plus loin dans un crâne plein de mystères.

L'impression de cette femme magnifique laissa à Camille une sensation désagréable, comme un doigt glacé qui vous traverse les entrailles.

Il rejoignit le groupe d'amis, tentant de gommer cette impression fantôme.

Caliope fourmillait ce vendredi soir. Des dizaines de groupes de jeunes gens babillaient le long du boulevard Emile Franz. Emile Franz était en quelque sorte le fondateur de Caliope. Il avait transformé l'ancienne ville en ce qu'elle était aujourd'hui, en nettoyant chaque quartier, assainissant les rues une à une et repeignant tous les murs. On oubliait bien souvent qu'il avait pour cela délogé tous les pauvres des rues de la vieille ville pour les envoyer au loin, en périphérie de la somptueuse capitale de l'Âme Sœur. Car Caliope était véritablement l'épicentre de la recherche de l'amour. Une personne sur sept dans le monde entier trouvait son âme sœur à Caliope. L'on avait alors bien vite exploité le filon et la ville s'était toute entière tournée dans l'industrie de l'amour. ABSINTHE CO. monopolisait la totale production d'Absinthe par brevets cadenassés et sa dirigeante, à la tête de la compagnie depuis des temps immémoriaux, n'avait, disait-on, jamais trouvé sa propre âme-sœur, assez ironiquement. Evidemment, la capitale regorgeait d'hôtels, de réceptions, d'évènements et de diverses cures sensées faciliter la découverte de sa moitié. Comme bien souvent, la société de consommation avait englouti tout entier cette ravissante et rafraîchissante idée d'amour naïf et total pour un faire un monstre sans cœur ni tête qui progresse brutalement en écrasant tout sur son passage. Pas une seule rue de la ville n'échappait aux lueurs verdâtres des publicités d'absinthe. Pas un seul quartier n'était épargné par les cotillons en cœur et les diverses annonces vantant les mérites d'un massage magique.

Caliope avait, à l'instar de bien d'autres endroits et concepts, dévoré le concept d'amour.

Camille avait fini par rattraper ses amis qui tenaient Alexandre en grand prince, déguisé comme il se devait pour un enterrement de vie de garçon en bonne et due forme. Ils finirent par entrer dans un bar et tout fut brouillé par l'interminable étang d'absinthe qui étincelait comme la voie lactée dans la nuit de leur conscience.