Chapitre #6 : Bal masqué.

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Les jeunes filles papillonnaient autour d'elle, espérant recevoir un conseil de dernière minute, une bénédiction ou une approbation sur leur tenue. Elles étaient toutes ravissantes, évidemment, et Elena les observait d'un œil appréciateur.

Lorsqu'elle entrouvrit les lèvres, un silence de mort se fit parmi les adolescentes pressées dans les loges. La lumière néon crues éclaboussaient les visages tous plus parfaits les uns que les autres.

« Soyez belles, soyez fortes, soyez attirantes. Trouvez l'âme sœur ce soir. Vous êtes ravissantes, vous êtes riches, vous êtes l'élite. Je vous souhaite le plus beau. »

Elle leva son verre, dans lequel se trouvait une substance d'un vert si profond qu'il en était rayonnant, si froid que de douces volutes de fumées s'en échappaient. Toutes imitèrent le geste de leur respectable marraine et avalèrent d'un trait le verre d'absinthe.

Ce fut le coup d'envoi du cent quarante-huitième Gala des Liens.

Elena quitta les coulisses pour pénétrer dans l'immense salle de réception. La pièce était gigantesque. Le mur de gauche était une tentaculaire dalle de marbre noir, en face était une estrade et à droite une baie vitrée gigantesque offrant aux convives une vue époustouflante sur le plus célèbre monument de Caliope, les Amants, une statue tentaculaire représentant un couple enamouré.

 L'endroit était peuplé de tables autour desquelles babillait le gratin du monde. Les lumières se tamisèrent et le bruit mourut.

Elena aimait cet instant. Ce moment unique où tous se taisaient, comme formatés, forcés par le réflexe idiot et bien ancré dans chacun que lorsque la lumière se baissait, le son devait faire de même.

Puis la première fille entra.

Elle était somptueuse. Sa peau était d'onyx et son regard doré se promenait sur la foule. Une robe ivoire sertissait incroyablement ses courbes enchanteresses pour une jeune femme de seize ans à peine. Elle fit quelques pas pour se rapprocher de la flaque de lumière générée par le spot. Puis tout le monde découvrit mieux encore ses traits parfait.

Un premier jeune home se lança. Il s'approcha d'elle, baissa légèrement la tête et elle tendit la main. Il saisit ses doigts comme s'ils furent faits de cristal et il entama une douce valse. Ils dansaient et l'orchestre jouait une musique sourde, comme pour rappeler que l'attraction de la soirée n'était pas cette mélopée enivrante mais ce qui se jouait devant eux, la langoureuse étreinte de deux âmes, la chasse enivrante de l'âme sœur.

Et l'absinthe favorisait cela.

L'absinthe anesthésiait les sens, il aidait le corps à s'affranchir des grenades de l'esprit, à ne plus répondre que de lui-même. L'absinthe rendait la recherche de l'âme sœur, naturellement ardue, bien plus aisée. Elle trompait l'âme pour un substitut plus accessible, plus désirable, plus riche. Et l'angoisse de se lier à un rebut de la société était bien plus forte que de prodiguer à son enfant tout le bonheur du monde pour la poignée de personnes présentes.

Les deux jeunes gens, enivrés par la pression sociale autant que par l'alcool, dansaient plus vite que jamais et, enfin, quand la musique se tut, il lui retira délicatement ses gants et soie. Leur peau glissa l'une contre l'autre et elle s'évanouit.

L'assemblée éclata en applaudissements.

La première prétendante avait trouvé chaussure à son pied.

Elena tourna le regard, saisit une bouteille de champagne et se dirigea vers la sortie. Elle extirpa de son sac son téléphone sur lequel elle esquissa un message d'excuse à son assistante qui resterait superviser le gala, ainsi qu'un autre, à son chauffeur.

Elle sortit dans la nuit fraîche de la capitale, manteau en fourrure drapant sa robe bleue nuit légère. Elle s'engouffra dans la longue voiture noire. Alors que le chauffeur lui demandait où elle souhaitait se rendre, son téléphone vibra.

Elle écarquilla les yeux.

« Aux bureaux. »

Le moteur vrombit.

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