Chapitre #7 : La graine.

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La ville éclaboussait le visage d'Eléna. Les néons écrasaient ses traits, brûlaient les imperfections, l'embellissaient d'une certaine façon. Ils rehaussaient son héritage asiatique, ses yeux très légèrement bridés et ses traits fins.

Elle baladait ses doigts le long de l'accoudoir en bois, le regard perdu dans le vague.

Eléna était une femme puissante et comme bien des femmes puissantes, elle chérissait le contrôle. Elle aimait tout tenir au creux de sa main, elle aimait pouvoir, à chaque instant, être sûr à plus de soixante-quinze pour-cents de ce qu'il allait se passer. Et si possible que cette chose allait se passer en sa faveur.

Mais en cet instant présent, Elena sentait que sa vie allait basculer. Et les soixante-quinze rassurants pour-cents semblaient plus que jamais tendre vers l'exacte parité. Son cœur tambourinait à sa poitrine comme un criminel chassé comme un gibier de potence trouvant le salut au pas de la porte d'une vieille connaissance.

Elle jeta un regard à son reflet dans la vitre teintée. Ses pupilles grignotaient la majeure partie de son iris brillant. Son épiderme tremblait, ses poils se hérissaient. Elle était à la fois excitée et terrifiée par ce qui allait arriver.

Elle haïssait cette sensation.

Elena faisait partie de ces gens qui, plus encore que contrôler le monde autour d'eux, ne supportait pas perdre le contrôle sur sa propre personne. Une défaillance personnelle était alors vue comme la pire des faiblesses. Perdre connaissance un affront personnel, vomir de peur une lâcheté déplorable, fondre en larme, une incitation à la haine. Elle enfonçait ses ongles dans le cuir sans grand succès.

Heureusement, déjà, la voiture ralentissait, passait le portail sécurisé de l'entreprise.

Le bruit de ses talons contre le goudron eut un effet apaisant. Comme si ce son habituel repositionnait le monde à sa juste place. Elle reprenait les rênes de sa vie.

Elle pénétra dans le grand bâtiment vide à cette heure de la nuit, fonça dans un ascenseur et présenta son téléphone au détecteur de la cabine comme laisser passer. L'appareil fusa vers le sommet du gratte-ciel et elle s'accrocha à la rambarde. Ses jambes faiblissaient.

Les portes s'ouvrirent et elle s'engouffra dans un petit hall faiblement éclairé. Badge une fois de plus. Porte qui chuinte. Elle entrait dans une immense pièce compartimentée en plusieurs blocs par de grandes baies vitrées. L'endroit pullulait de matériel chimique et d'ordinateurs, de machines hors de prix. L'endroit était faiblement éclairé à l'exception d'un bloc, au loin.

Elle attrapa une blouse immaculée au vol et pénétra dans l'antichambre de décontamination. La pièce émit un bip mélodieux et la porte en face d'elle s'ouvrit.

De l'autre côté l'attendait un homme d'une cinquantaine d'année, asiatique. Il était accompagné d'une jeune femme à l'air très excité.

« Nous l'avons, Mademoiselle Sentier, nous en sommes presque sûrs. »

Le rythme cardiaque d'Elena en devenait presque dangereux. La jeune fille s'empressa de pianoter sur l'ordinateur le plus proche. Le professeur s'approcha, une seringue pleine d'un liquide émeraude.

« Absinthe pur, mademoiselle, il accroît les statistiques. »

Elle hocha la tête et déglutit bruyamment.

L'assistante s'approcha avec un appareil lourdement connecté à une unité centrale imposante. C'était une petite plaquette équipée d'une fente pour y insérer son doigt.

« Professeur Tamaka, avant toute chose, quels sont les risques ? »

« Aucuns, mademoiselle. Les précédents échecs qui ont conduits aux décès des cobayes étaient dû aux arythmies cardiaques provoqués par la méthode intrusive de détection. Hors nous nous basons cette fois-ci sur une fraction de seconde de capteur ainsi qu'un échantillon très faible, nous estimons les chances d'accident inférieures au pour-cent. »

Bien supérieures à soixante-quinze.

« Procédez. »

« Votre index s'il vous plait mademoiselle. »

Eléna contempla le petit appareil. Elle ne contrôlerait rien. Une pointe d'adrénaline explosa quelque part dans son corps alors qu'elle enfonçait son doigt dans la fente. Une minuscule aiguille jaillit pour entailler la peau, faisait couler une goutte de sang qui tomba sur une plaque. Elle retira par réflexe son doigt et leva les yeux vers le grand écran qui affichait un planisphère sur lequel figurait plus de sept milliards de points rouges. Ils disparaissaient tous un par un. Le regard d'Elena s'étricit. Il n'en restait que quatre. Trois. Deux. Puis un seul.

Il brillait là, seul, dans un coin de Caliope. Elle exultait. La machine marchait.

Le professeur tira du bureau une bouteille de champagne, extatique. L'indécent « pop » qui accompagna le jet du bouchon permit commodément de couvrir le faible bruit du pistolet silencieux qui venait de mettre fin à la vie de la petite assistance, à grand renfort de plomb dans la cervelle.

La bouteille explosa au sol alors que le vieux scientifique hurlait de peur.

« Je suis bien désolée professeur mais ce que vous avez concocté là est bien trop beau pour être public. Et je vous connais, l'orgueil est un vilain défaut, que dis-je un péché. Vous ne pourrez jamais garder ce bijou pour vous-même. Mais imaginez un seul instant si cette machine venait à se démocratiser. Que se passerait-il d'après vous ? La démocratisation de l'Âme Sœur, servie sur un plateau d'argent. Nulle quête, nulle recherche passionnée, nul but dans l'existence. Sans compter que les miennes me trouveraient bien trop vite pour que je puisse véritablement cacher les corps. »

Le pauvre homme pleurait à présent. Il semblait à Eléna avoir distinctement sentit l'odeur rance de l'urine.

« Pourquoi avoir financé mes travaux alors ? » parvint-il à articuler.

« Comment mieux contrôler la mauvaise graine que lorsqu'on l'arrose, monsieur Tamaka ? »

Puis elle lui explosa le crâne.     

AbsintheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant