Alexandre fixait le lointain.
Ses paupières restaient désespérément ouvertes, ses yeux asséchés peinaient à ne pas brûler sur place. Sa respiration s'était coupée.
Son monde venait de s'effondrer.
Il n'entendait pas les hurlements autour de lui, l'agitation, le père de Lucie qui se précipitait vers sa fille en pleurant toutes les larmes de son corps. Il ne voyait pas la flaque de sang qui s'étendait aux pieds de sa fiancée, ou encore l'océan de soie et de dentelle magnifique qui gisait devant lui.
Il ne voyait rien d'autre que la porte de l'église, grande ouverte, et les sirènes des ambulances qui retentissaient au loin.
Le poing de son ex-beau-père l'extirpa de sa torpeur. Il s'abattit sur sa pommette comme une massue au ralenti. Dans sa langueur, il sembla à Alexandre qu'il était capable de décortiquer chaque étape du coup. D'abord les phalanges vinrent caresser sa joue, puis le début des doigts embrassèrent sa mâchoire. Enfin ses dents mordirent dans sa langue alors que sa nuque déviait brutalement de trajectoire.
Son corps fit un bel arc avant de s'effondrer sur le tapis moelleux de l'autel de l'église.
Son regard suivait la courbe de sa trajectoire. Il passait d'une moulure à l'autre, s'attachant aux clés de voute du plafond de la nef.
Puis, lorsque son corps cessa de chuter, ses yeux furent happés par la verrière au plafond, par la lumière crue qui inondait son visage.
Bientôt, ce furent les coups du père qui inondèrent son visage.
Alexandre ne fit rien. Il resta passif, laissant le déluge de violence pleuvoir sur son corps, sur ses côtes, sur ses joues, sur son ventre. Il comprenait tant le père de Lucie.
Il entendait sa haine, embrassait son dégoût. Il se vomissait lui-même.
Lorsque l'on força son agresseur à reculer, Alexandre ne bougea pas plus.
Il restait là, baigné dans la lumière, la lèvre explosée, le visage bleui, tel un martyr à la Michel-Ange, attendant l'intervention divine pour le sauver.
A l'exception près qu'Alexandre n'était pas croyant.
Et qu'il savait qu'aucun Dieu ne viendrait le sauver. Il savait qu'aucun Dieu ne viendrait le récupérer entre ses doigts omniscients, purs et paternels. Il savait pertinemment qu'aucun être suprême n'était là pour lui, à ses côtés. Il avait l'intime conviction que si un tel être existait, rien dans sa vie ne se serait passé de la sorte. S'il tel être existait, il le haïrait. Eût-il était l'instigateur du paradis, il ne l'en haïrait que plus d'avoir fait de sa vie un Enfer. Mais il savait qu'aucun Dieu n'existait autant qu'il savait qu'aucun Dieu n'avait créé un enfer universel.
L'enfer, c'est l'homme qui se le façonne de ses propres mains.
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Absinthe
Short StoryImaginez un monde où trouver l'amour est tout autrement important que dans le vôtre. Imaginez un monde où votre vieillissement tout entier se cristallise dès la puberté atteinte et ne reprend son cours qu'une fois l'Âme Sœur trouvée. Plongez au cent...