Chapitre #12 : Immaculé.

788 135 54
                                    

Son cœur pulse à ses tempes. Ses mains moites trembles de terreur.
Elle sent son sang affleurer à son visage et sa respiration se saccade.
Puis les premières notes de la marche nuptiale retentissent.

Là n'est plus le moment de reculer. Prenant son bouquet à deux mains, Lucie s'avance. Son père, les yeux larmoyants, essuie distraitement les larmes qui coulent sur sa moustache alors qu'il lui offre son bras. Elle s'y appuie volontiers.

Lucie avait rejoué la scène des centaines de milliers de fois et pourtant elle paniquait totalement. Elle avait cette sensation à la fois infiniment désagréable et profondément excitante de plonger dans l'inconnu. L'adrénaline la rendait fébrile. La dentelle à son visage vibrait avec son souffle court.

Toute l'église se leva comme un seul homme alors que le son de l'orgue s'amplifiait.

Les visages, tous connus, s'accrochaient à celui de la jeune femme à tel point qu'elle en fut gênée. Elle baissa les yeux, se concentrant pour ne pas trébucher sur l'épais tapis carmin.

Les quelques mètres qui la séparaient de l'autel furent interminables. Elle avait la sensation de marcher sur des braises, privée d'oxygène et filmée en gros plan par des dizaines de caméras.

Lorsqu'elle prit enfin place en face de son futur mari, tout sembla disparaître.

Elle ne voyait ni les spectateurs, ni le prêtre, ni même la verrière magnifique au-dessus de sa tête, qui diffusait une lueur somptueuse sur la scène. Elle n'avait d'yeux que pour Alexandre et pour l'amour qu'elle lui portait. Elle l'aimait tant qu'à sa simple requête, elle pourrait s'arracher le cœur pour le lui offrir, pour le rassurer, pour qu'il soit persuadé qu'elle n'était qu'à lui, qu'elle l'avait toujours été, qu'elle le serait toujours.

Son amour lui faisait mal tant il était fort et elle avait envie de se jeter dans ses bras.

Mais, consciencieuse, elle n'en fit rien.

Puis le prêtre entama sa litanie.

C'était une longue mélopée, légèrement lancinante. Elle remontait à des temps immémoriaux, des temps où l'on ne savait même pas écrire. Les enfants de chœur joignirent bientôt la cadence et le champ empli les lieux. Tous furent envoûtés par les vœux de bonheur et de félicité qui émanaient des notes de musique. Le moment était tout aussi magique que fragile, tout aussi immortel qu'éphémère. Tous furent happés par la puissance de l'âme sœur.

Lorsque les lèvres du prêtre furent closes, un silence pesant – mais néanmoins peu désagréable, voyez comme pesant s'image différemment selon que l'on théorise la pesanteur comme négative ou positive – s'installa.

« Nous sommes réunis en ces lieux pour célébrer l'union de cet homme et de cette femme par les liens les plus forts qui soient. Ainsi, Alexandre Javarez, acceptez-vous de prendre Lucie Dietrich ici présent pour mari, de l'aimer, le chérir, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans le bonheur comme dans l'adversité et ce jusqu'à ce que la mort vous sépare ? »

« Je le... »

Le bruit assourdissant d'un banc qui racle la pierre nue du sol interrompit Alexandre dans ses propos.

Tous les regards pointèrent vers la source du bruit hautement importun.

Julien Kasporiev s'était levé.

Droit comme un i, les yeux emplis de larmes, il cracha :

« Tu n'es qu'un menteur, et pire que tout, tu te mens à toi même. Tu me dégoutes. »

Puis il tourna les talons, quittant l'église à toute vitesse, vite suivi de ses co-équipiers et amis et tentaient tant bien que mal de comprendre et d'expliquer.

Ce fut à cet instant précis que le cœur de Lucie cessa de battre.

Elle avait trop bien réussi, trop soigneusement préparé l'explosion dans sa tête. La bombe atomique de bonheur qu'elle devait vivre s'était, en l'espace d'une fraction de seconde, changée en un cataclysme aussi destructeur que mortel.

Les mots de Kasporiev, le meilleur ami de son fiancé, un homme qu'elle avait connu depuis le lycée, avait déclenchés une réaction en chaine aussi limpide que ravageuse. Les idées s'imbriquaient les unes dans les autres comme les pièces d'un puzzle dont on comprenait enfin le sens.

Elle se rendait compte, à présent, qu'elle avait été stupide, qu'elle avait vainement tenté d'accoler deux pièces qui ne correspondaient pas, qu'elle s'était projetée sur quelque chose, quelqu'un, qui n'était pas pour elle.

Elle mit bout à bout chaque petite miette de sa vie pour, enfin, s'apercevoir de cette monstrueuse et pourtant naïve vérité :

Alexandre Javarez ne l'aimait pas.

Ça n'était pas dramatique en tant que tel. Ce n'était après tout rien de plus qu'une simple prise de conscience. Pourtant cela la tua. Tout se passait comme si son âme sœur venait de mourir. C'était en théorie faux mais en pratique, l'idée, le fantasme, qu'elle s'était érigé d'Alexandre venait de s'effondrer.

Lucie mourrait comme elle avait vécu. Dans un mouvement frôlant la perfection, et avec un timing chronométré. D'abord ses genoux se plièrent puis ils heurtèrent le sol en marbre. Son buste vacilla doucement avant de choisir l'avant et de chuter gracieusement jusqu'à faire s'embrasser son crâne et le sol de la pièce dans une union adorable.

Le craquement sinistre qui en résulta fit hurler l'assemblée de désespoir.

AbsintheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant