Des volutes de vapeur s'élevaient dans l'air glacial. Le soleil était à peine levé, teintant d'un rose fatigué le ciel las de voir des humains s'activer en cette heure matinale. Les corps des co-équipiers fonçaient sur la pointe des pieds, tentant de combattre tant bien que mal la morsure du froid. Ils couraient à la file indienne, pour toute protection contre la bise hivernale un maillot de bain et un mince bonnet.
Leurs corps tendus par le froid plongèrent à l'unisson dans l'eau surchauffée.
Le liquide protecteur les happa d'un seul bloc et seul le sifflet strident du coach parvint à en briser l'étreinte.
« Au boulot bande de lopettes ! Vous me bouclez ces mille mètres avant six heures et on commence l'entraînement à chaud. Je vous laisse j'ai un bon café qui m'attend. »
Il disparut.
Comme un seul homme, les sept membres de l'équipe de water-polo ondulèrent le long des lignes. Leurs corps affutés fendaient l'eau avec une puissance effrayante pour qui se trouvait à la surface, mais paradoxalement, avec une grâce infinie pour qui prenait un point de vue aquatique. Les jeunes-hommes semblaient danser sur une surface mouvante, un ciel brouillé. Ils volaient doucement au bord d'un miroir distordant.
Sur deux couloirs voisins, Javarez et Kasporiev perpétuaient leur rituel éternel. A chaque fois qu'ils se croisaient, le bout de leurs doigts effleurait le corps de l'autre avant de continuer dans des directions contraire.
Ce contact fugace résumait leur relation au plus haut moins. Un pas en avant, un contact mince, subtil, invisible et fantôme, trois pas en arrière. Javarez n'avait pas osé, n'oserait probablement jamais.
Le soleil était totalement levé quand les sept, à bout de souffle, commencèrent à se lancer la balle.
« Bon les gars. Demain c'est important, je compte sur vous. Vous avez joué comme des chefs aujourd'hui, il n'y a aucune raison pour qu'on ne les écrase pas ! Javarez, concentre-toi bon dieu, on va les avoir si tu t'y mets ! Flint, excellent. Allez, à demain les jeunes. »
Douches. Javarez se savonne, regard au sol. Ses gestes sont rapides, pressés, gênés. Il se sèche en vitesse, s'habille sans y penser, sors de la piscine les cheveux encore trempés, gouttant sur ses affaires sèches.
Les doigts se resserrent sur son poignet, le coude se tend dans une envolée lyrique vers une liberté illusoire.
« J'viendrai pas, Javarez, j'ai compris. Mais saches que tu jettes ta vie aux ordures. »
Le brun garde les yeux rivés sur le sol, sa partie préférée du monde à cet instant précis. Kasporiev tremble légèrement. L'autre peut entendre son souffle saccadé, sa respiration brûlante et erratique contre sa nuque.
Il ne se retourne pas car il sait que s'il croise son regard, il s'y perdra. Il s'y noiera, perdra raison et courage.
« C'est p't'être mieux ouais. »
Le silence qui s'installe est plus glacial que le vent qui se faufile entre ses mèches mouillées.
« A plus mec. »
Il sembla à Kasporiev qu'il avait réellement entendu quelque chose partir en morceau.

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Absinthe
Short StoryImaginez un monde où trouver l'amour est tout autrement important que dans le vôtre. Imaginez un monde où votre vieillissement tout entier se cristallise dès la puberté atteinte et ne reprend son cours qu'une fois l'Âme Sœur trouvée. Plongez au cent...