(1) Prologue

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- Passe-moi la clef de 12.

Lionel Dubois, dirigeant de proximité au service électrique de la SNCF, interpelle son agent depuis le "sous-marin" du poste d'aiguillage. Il ne sait pas encore qu'il ne lui reste que quelques secondes à vivre...

Pour l'instant, il transpire dans sa tenue haute visibilité, orange fluo et tâchée de cambouis. Le "sous marin" porte bien son nom, c'est un étroit couloir donnant accès à l'intérieur de l'installation ! Dans les années trente, du siècle dernier, c'était un rêve d'horloger, avec sa mécanique précise au millimètre, non pas à l'échelle d'une montre suisse, mais plutôt d'une salle entière. Sur plusieurs mètres de long, des barres de métal glissent, font pivoter des taquets, s'encastrent dans d'autres, selon une logique qui autorise seulement certains mouvements et interdit tous les autres. Ainsi, il est théoriquement impossible d'envoyer un train en percuter un autre, même si l'agent de circulation à l'étage est ivre, comme c'est le cas ce soir. Les lieux ont bien connu un petit lifting dans les années soixante, il y a été ajouté un peu de logique électrique - le mot électronique serait trop fort...Mais depuis, rien. Mais pour que cela dure, il faut l'entretenir, c'est ce soir la tâche de Lionel et de ses agents. 

Lionel rêve que sa mutation soit acceptée pour un service où les postes d'aiguillage seraient informatisés et ses outils un clavier et une souris, et pas cette foutue clef de 12 qui n'arrive pas. Ou mieux encore, il se prend à espérer avoir enfin trouvé les numéros gagnants au loto de ce soir et pouvoir quitter toute cette merde.

Mais pour l'instant, il est coincé dans ce foutu "sous-marin", le dos plaqué contre une barre métallique qui lui rentre dans les omoplates, la main droite glissée entre des câbles électriques de quarante ans d'âge, raidis et fragilisés par l'usure. S'il les casse, sa nuit est foutue, et son avancement sérieusement compromis. Sa main gauche pend, attendant la fameuse clef.

Enfin, il perçoit un mouvement à la limite de son champ de vision. Est-ce enfin l'outil désiré ? Il se retourne et son regard se fige d'incompréhension.

Tout son champ de vision est obstrué par un unique objet, non pas la clé de 12 tant attendue, mais un pistolet à clou, qui lui semble énorme tellement il est proche de son visage et surtoutbraqué sur son front.

"Pourquoi ?" est sa dernière pensée, en entendant le bruit sourd du clou éjecté. Une douleur fulgurante vrille son crâne. Puis, plus rien.

Aiguillage mortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant