(3) Premières constatations

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Bruno ouvre la porte du poste. Une lumière tamisée éclaire une salle d'une quinzaine de mètres de long, occupée pour l'essentiel par la vaste rangée de leviers métalliques qui commandent les aiguillages et signaux de la gare. Au-dessus d'eux est placé un plan des voies parsemé de lumières blanches ou rouges. Plus loin une grande table est occupée par plusieurs téléphones et un ordinateur.

Dans un recoin, Le capitaine distingue assis sur une banquette trois personnes sous la bonne garde de deux agents de police en uniforme. L'un d'eux s'avance vers lui :

- Voici les trois suspects, capitaine.

- Des suspects ? répond il surpris. Je ne suis pas encore arrivé et vous avez déjà des suspects... Vous voulez ma place, Brigadier Lefebvre ?

Celui-ci, d'un naturel plutôt timide rougit. Son collègue vient à sa rescousse :

- On a affaire à un cas peu banal capitaine. Les trois témoins étaient présents dans la salle au moment du drame. Personne d'autre n'a pu entrer ou sortir d'après nos premières constatations. Donc le meurtrier est très vraisemblablement l'un d'eux. Mais ils prétendent n'avoir rien vu.

- Expliquez moi ça, Brigadier Rauss.

Celui-ci s'exécute.

- La victime s'appelait Lionel Dubois,t Dirigeant de Proximité au service électrique de la SNCF. En langage courant, ça veut dire cadre dans le service qui maintient les installations comme ce poste d'aiguillage. Il effectuait ce soir une maintenance quand il a été retrouvé par ses collègues, mort avec un clou enfoncé dans le crâne.

- Et ils n'ont rien vu ?

- C'est ce qu'ils déclarent. Mais démêler le vrai du faux, ça c'est votre boulot chef. Moi je me borne à relever les premières constations.

Bruno croit percevoir un brin d'ironie dans les propos de son subordonné. « Je l'ai bien cherché, après ma pique à son collègue ». Il hausse les épaules et lui fait signe de continuer. L'agent en tenue montre le premier des trois suspects. L'homme a la quarantaine, les cheveux bruns, une barbe foisonnante. Il est plutôt maigrelet, habillé d'une épaisse chemise à carreau et d'un jean usé. Son regard est vague et fatigué.

- Marcel Lagarde, aiguilleur de son état. Il était de service au poste. Quand le drame est arrivé, il était occupé à remplir de la paperasse à son bureau.

Puis le brigadier se tourne vers un autre homme, la trentaine, plutôt musclé, les cheveux coupés ras. Dans la semi-obscurité du poste, sa peau semble plus noire qu'elle ne l'est réellement. Il est vêtu des pieds à la tête de la tenue haute visibilité des agents de maintenance, orange fluo avec le logo SNCF, et dans le cas présent, couverte de nombreuses tâches de cambouis.

- Moussa Akombe. Agent de maintenance qui travaillait sous les ordres de la victime. Il était remonté chercher des outils quand la victime est morte.

Il désigne enfin le troisième homme. La trentaine, le crâne dégarni derrière de grandes lunettes, il porte lui aussi une tenue haute visibilité. Mais contrairement à son collègue, elle est exempte de la moindre tâche.

- Nicolas Thevenin. Il est "assistant sécurité", venu contrôler le travail de la victime ce soir. Lui était en train de prendre des notes sur son ordinateur.

Bruno médite un instant, puis reprend :

- Bref, si je résume, nous sommes dans un local fermé de cent mètres carré, à l'écart de tout. Il y a quatre personnes à l'intérieur ; Il est impossible que quelqu'un entre ou sorte sans être remarqué. L'une d'elle meurt de mort violente et malgré l'exiguïté des lieux, les trois autres avaient le dos tourné et n'ont rien vu. Ce n'est pas banal, effectivement.
Bon, commençons par le commencement, où est le corps ?

- Par-là, indique l'un des deux policiers.

Il pointe, derrière la rangée de leviers, un escalier étroit qui mène vers un couloir guère plus large au milieu d'une forêt de barres métalliques et de câbles électriques.

Aiguillage mortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant