(6) Premier interrogatoire

51 9 3
                                    


Un instant plus tard, Bruno et Lina s'installent dans la salle de repos du poste d'aiguillage pour procéder aux interrogatoires. Le commandant est adossé au mur, les bras croisés, dans une posture autoritaire. La jeune lieutenant est assise derrière une table, légèrement penchée en avant, les mains jointes, offrant un sourire accueillant au premier témoin, ou suspect.

- Si je résume, c'est votre chef qui vous a posté de service ce soir-là. C'est un hasard que ce soit tombé sur vous ? demande-t-elle.

- Oui, c'est tout à fait ça, répond Marcel Lagarde. Il semble soulagé par la tournure de la question. Je suis agent circulation, posté en 3*8. Ce soir, c'est mon tour, demain, quelqu'un d'autre.

Avec sa réponse, Lina perçoit un fort relent d'alcool. L'homme a bu ce soir, et beaucoup. Il a l'air triste, prématurément usé par la vie « et en plus, il est habillé comme un sac » se dit-elle.

- Dans mon expérience, les crimes tiennent rarement du hasard, interrompt Bruno. Saviez-vous que la victime serait là ce soir ?

L'aiguilleur se renfrogne, réfléchit à sa réponse, puis :

- Je savais qu'une intervention était prévue. Mais la brigade est composée d'une demi-douzaine de personnes. Je ne savais pas que leur chef serait présent.

- Et vous le connaissiez ? demande Lina d'une voix douce.

- Pas plus que ça, répond-il. A force de se croiser, on finit par faire connaissance. Les soirées sont parfois longues, on discute. Mais je connais mieux les agents.

- Et donc, vous connaissiez Moussa Akombe, celui qui l'accompagnait ce soir ? l'interrompt Bruno.

- Un petit peu, oui, répond Marcel Lagarde.

- Que pourriez-vous me dire de lui ? reprend Lina.

- Un type bosseur. Plutôt sympa. Je crois qu'il est également délégué syndical.

- Vous lui connaîtriez une raison d'en vouloir à la victime ? demande Lina d'une voix douce incitant aux confidences.

L'agent circulation se tait, il semble réfléchir, hésiter. La jeune lieutenant de police se penche vers lui, sourit de nouveau pour l'inviter à parler.

- Ce soir, Moussa était énervé. L'ambiance était orageuse entre lui et Lionel Dubois. Je ne sais pas pourquoi, finit-il par dire.

- Et Nicolas Thévenin, l'assistant sécurité ? interroge Lina.

- Lui, je ne le connais pas. C'est la première fois que je le vois. Vu le ton de la conversation entre lui et Lionel Dubois, ils devaient être amis.

Les deux officiers de police se consultent du regard. Pas d'autres questions pour le moment.

- Et sinon, il vous arrive souvent de boire au travail ? tonne la voix de Bruno dans le dos de l'aiguilleur

- Euh oui, non, enfin... répond celui-ci, visiblement perturbé.

- Des soucis, peut-être ? demande Lina....

- Non, non, répond Marcel, un tout petit peu trop vite. La nuit est longue et froide... Je ne devrais pas, mais...

- Une dernière question, reprend Lina, changeant brusquement de sujet. Ça vous dérange si on jette un œil à votre ordinateur ?

- Euh, ben... Je ne sais pas trop.

Bruno se décolle du mur et vient se placer devant l'aiguilleur :

- A vous de voir. Si vous n'avez rien à cacher, autant coopérer. Vous serez radié plus vite de notre liste des suspects. Mais si vous refusez, vous allez grimper tout en haut de cette même liste. Et je n'aurais aucun mal à obtenir du juge d'instruction les autorisations nécessaires.

Marcel Lagarde hésite, se ronge les ongles, semble réfléchir intensément. "Il a quelque chose à cacher" estime le commandant.

- Bon d'accord, finit-il par décider.

- Jean, tu peux mettre un de tes hommes sur l'ordinateur de Monsieur ? demande Bruno au chef de l'équipe de la police scientifique. Il va te donner ses codes d'accès.

Aiguillage mortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant