Nicolas Thévenin est assis sur une chaise de bureau pivotante. Il aurait aimé pouvoir dissimuler ses jambes sous la table d'un bureau, y appuyer ses mains. ça l'aiderait à se donner une contenance. Mais la jeune policière est assise, devant lui. La table dont il rêverait qu'elle s'interpose entre eux deux est hélas de côté. Le capitaine Fabre est adossé au mur, dans son dos, à la limite de son champ de vision. Nicolas a des frissons dans l'échine, et jusqu'à la pointe de ses oreilles. Il pose ses mains bien à plat sur son pantalon en tissu, espérant que celui-ci va en absorber la moiteur. Ce deuxième entretien n'augure rien de bon, il le pressent.
- Vous étiez très proche de la victime ? lui demande la lieutenant de police.
- Oui, je croyais vous l'avoir déjà dit.
- Au point de vous livrer quelques confidences l'un à l'autre ?
- Peut-être... Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- La dame fait allusion aux aventures extra-conjugales de ton copain, précise Bruno d'une voix rude.
L'interruption fait sursauter Nicolas Thévenin. Il se reprend néanmoins très vite.
- Oui, je sais qu'il était chaud lapin. Il s'en vantait souvent.
- Il s'en vantait, où plus encore ? On a retrouvé une vidéo de ses "exploits".
Nicolas Thévenin sourit intérieurement. La direction que prend l'entretien le rassure :
- Oui, il m'a montré des vidéos de lui "en pleine action".
- Avec par exemple la femme de Marcel Lagarde ? lui demande Lina avec un grand sourire.
"Ils ont trouvé, super !" est la première réaction de Nicolas Thévenin. Il dissimule avec peine son profond soulagement.
- Possible. Il avait plusieurs maîtresses. Elle n'habitait pas loin.
- Lieutenant Saidi, coupe Bruno. Quand vous aurez fini d'amuser le témoin, on pourra peut-être commencer l'interrogatoire ?
Nicolas Thévenin marque un temps d'arrêt. "Comment ça, commencer l'interrogatoire ?" se demande-t-il ? "C'est quoi alors, leurs questions sur la femme de Marcel ?"
- Ce que voudrait savoir mon chef, demande avec douceur Lina, c'est pourquoi vous êtes venu travailler cette nuit ?
- Je vous l'ai déjà dit. Mon mon rôle est de contrôler le travail des agents. J'étais en inspection surprise cette nuit.
- La question qu'on vous pose, coupe une nouvelle fois, Bruno, c'est pourquoi, alors que vous avez dans la poche le ticket gagnant du loto, vous êtes venu vêtu d'une combinaison orange fluo dans ce poste d'aiguillage paumé ! Vous devriez être en caleçon de bain dans le bureau de votre directeur en train de chanter "au revoir président"...
"Et merde, ils savent..."' Une goutte de sueur perle sur le front de Nicolas Thévenin. Il ne s'avoue pas vaincu pour autant.
- Ah bon ? Vous savez, je joue à l'occasion. Mais je ne suis pas accroc. Je n'avais pas encore regardé les résultats. C'est vous qui me l'apprenez.
- Et Lionel, il ne vous a pas posé de questions, en arrivant ce soir ? demande Lina.
- Quelle question ? lui rétorque Nicolas.
- Le résultat, couillon ! hurle Bruno dans son dos.
Puis, d'un geste sec, il fait pivoter Nicolas Thévenin sur sa chaise pour le placer face à lui. Le capitaine de police se penche pour regarder son suspect droit dans les yeux.
- On sait que vous jouez au loto ensemble. Ne nous prend pas pour des cons.
La chaise pivote de nouveau, plus doucement cette fois-ci. C'est Lina qui le retourne, et le regarde avec un sourire.
- Mon chef s'énerve vite. Il faut le comprendre, il est tard, et à son âge, il n'aime pas être réveillé en pleine nuit. Donc reprenons tranquillement... Vous avez jouez au loto avec la victime et vous avez gagné. Ce soir, c'est treize millions d'euros. On est un vendredi 13. A mon avis, ça ne vous a pas porté chance, car vous avez pris la mauvaise décision. C'est bien ça ?
Nicolas Thévenin sait qu'il est sur une pente glissante. Il réfléchit à toute allure, mais ne trouve rien à dire.
- Bon, il commence sérieusement à me gonfler, celui-là. Rugit Bruno Fabre. Jean ! Il interpelle le chef des hommes de la scientifique. Quand vous avez fouillé les lieux, vous n'avez rien trouvé qui ressemble à un bottin ?
Lina regarde Nicolas Thévenin avec un sourire compatissant.
- Oui, le bottin, c'est très bien. C'est lourd mais ça ne laisse pas de traces.
- De traces ? De quoi voulez-vous parlez ? demande Nicolas avec une pointe d'angoisse dans la voix.
- Il ne faut pas le contrarier.... Après, il devient colérique, poursuit Lina. Puis, elle fait de nouveau pivoter la chaise de Nicolas, en direction de Bruno...
Celui-ci tient une lourde pile de documents techniques dans la main, qu'il évalue d'un air expert.
- C'est pas top. Mais ça devrait le faire... Faut seulement viser juste avec les anneaux en métal.
Nicolas déglutit. Il a bien conscience que la situation lui échappe. Mais il s'accroche encore.
- Vous n'avez pas le droit, dit-il d'une voix faible
La chaise tourne encore. Lina lui fait face désormais. Elle se penche en avant, les bras serrée contre son torse pour mieux faire gonfler sa poitrine ; elle lui offre ainsi une vue plongeante sur son décolleté. Inconsciemment, son regard s'y accroche, accroissant sa confusion.
- Le monde extérieur a plein de belles choses à offrir. Si vous avouez maintenant, peut-être que vous pourrez ressortir de prison en ayant encore l'âge d'en profiter...
La chaise pivote de nouveau, violemment. Le malheureux, pris par surprise, manque de chuter au sol. Il quitte le regard compatissant d'une belle jeune femme pour celui, dénué de pitié d'un vieux flic. Bruno approche son visage obscurcissant tout son champ de vision.
- Mais si tu persistes à nier l'évidence, je te jure que tu ne ressortiras pas de taule avant d'être grabataire.
Nicolas Thévenin craque, fond en larme, prend sa tête entre ses mains. Entre deux sanglots, il murmure :
- J'avoue tout... C'est moi qui l'ai tué !
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Aiguillage mortel
Mystery / ThrillerDans un poste d'aiguillage perdu au milieu de nul part, un agent est retrouvé mort par ses collègues. Ils étaient à l'intérieur, personne n'est entré, personne n'est sorti. Le coupable est forcement l'un des trois, mais lequel ? Ils n'ont rien vu, r...