Trahison

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Le corps de Frederik repose à plat dans une grande pièce très lumineuse. Tout à coup il inspire fortement. Il a mal à la poitrine, là où la balle a perforé son sternum, son cœur tambourine. Il n'y a plus qu'une sombre cicatrice à la place du trou qu'a provoqué le projectile. Starac tousse et ouvre difficilement les yeux. Il voit d'abord un flou lumineux, puis le plafond uniforme et gris. Le sol est froid sous lui. Il entend le bruit des pas qui s'approchent de lui et, derrière, une sifflement d'électricité statique.

- Bienvenue parmi nous à nouveau professeur Starac, prononce d'un ton faussement enjouée le docteur Hekel. Je vois que les nanobots ont fini de réparer votre corps. Je vous rassure, vous n'êtes resté mort que quelques minutes cette fois. Croyez bien que je m'en serais passé, mais il y a eu une complication.

L'homme entend tout ce que la femme lui dit, mais il ne pense qu'à sa propre compagne, tuée devant ses yeux. Il regarde autour de lui hébété mais ne la voit pas.

- Pourquoi est-ce que vous faites ça ? Vous êtes folle... Lache-t-il dans un souffle.

Elle éclate à nouveau de ce rire hystérique. Puis elle lui dit qu'elle est parfaitement saine d'esprit. Qu'elle est un être pur contrairement à lui, une fille du Père-Monde, une Xelys et que c'est lui le perfide de l'histoire. Lui dont l'espèce a détruit son monde. Elle ajoute que le F.A.M. a suivi toute la procédure d'ouverture du pont et enregistré toutes les données.

- Malheureusement, ajoute-t-elle, l'impulsion electro-magnétique produite par l'ouverture du pont dimensionnel a détruit le F.A.M. et nous n'avons pas la fin de l'expérience. Il va donc falloir que vous répondiez à une simple question. Comment avez-vous fait pour redonner vie à votre femme ? Répondez s'il vous plaît.

- Quand les autres habitants de la station vont comprendre que vous une traître à votre espèce...

- Ne soyez pas stupide, vous n'avez donc pas compris ? Ceci est un avant poste de recherche du Père-Monde. Cela fait cinquante ans que nous travaillons sur les énergies exotiques de l'univers Zero. Il n'y a pas de rébellion ici, pas plus qu'il n'y a d'humain sauvage dans le système solaire. Notre Père a la bonté de répandre la paix sur ses deux milliards de sujets.

Frederik ne répond rien.  Il comprend que tout n'avait été qu'un vaste mensonge. Il n'y avait pas de flotte en provenance de la Terre. Pas d'espoir de liberté. Juste un décors pour le motiver. 

- Pourquoi ne pas avoir arraché simplement l'information à mon esprit plutôt que de jouer cette mascarade.

Le visage d'Hekel devient neutre et son regard se voile. Après une seconde, il se durcit et elle se redresse. Elle parle d'une voix plus grave, plus empreinte de puissance que précédemment.

- Bonjour, je suis l'instance du Père-Monde. Ce Xelys est mon vaisseau ici. J'aurais avec plaisir conversé avec vous en direct, mais la distance avec la Terre est bien trop importante pour une discussion synchronisé. Il ne s'agît donc là qu'une ombre de mon esprit. Si je ne vous ai pas assimilé, c'est que je ne peux pas. Pour une raison qui m'échappe, je ne peux pas accéder à votre esprit, ni le contraindre. Nous avons déjà essayé par le passé, mais vous n'avait jamais cédé. Certains humains ont cette propriété. Et puis, c'est bien plus captivant de vous voir lutter contre votre propre destinée et en tirer toutes vos capacités. Les humains sous mon influence n'ont pas cette... possibilité. C'est regrettable et bien moins distrayant, mais c'est une conséquence de la synchronisation. Ma bonté est à ce prix. La paix est à ce prix.

Starac est sous le choc. L'intelligence qui a asservi toute l'humanité lui parle directement. Il comprend aussi qu'il n'ouvrait pas le pont vers le Pilier pour sauver pour l'humanité mais au contraire pour achever son asservissement. L'être devant lui se prend pour un dieu et cherche à en devenir un.

- Vous savez, j'éprouve de l'excitation à parler à un homme qui vécu en même temps que moi lorsque j'étais humain. Bref... Quand vous avez ouvert le pont, nous avons fait de même dans cette salle, une réplique de votre expérience. Pourtant le Xelys mâle qui abritait ma conscience est mort. Pas vous. Vous vous avez ramené votre femme à la vie. Comment avez vous fait ?

Le corps de la femme le regarde avec une telle intensité qui ne peut plus la considérer comme Harmonie Hekel. Il ne voit plus que la stature d'un tyran avide de pouvoir. Il n'est pas dupe de son regard affectueux. Le Xelys tourne la tête vers l'installation.

Sous le hangar gigantesque de la taille d'une cathédrale, les treize blackballs se synchronisent de concert est pulse une énergie croissante en faisant vibrer l'air qui se ionise.

- Vous allez me montrer professeur Starac. Et une fois cela accompli, mon esprit se synchronisera avec le flux maître pour que ma conscience nourrisse mon instance principale. Alors j'aurais le pouvoir de modeler cette galaxie à l'image de mon esprit. J'ai déjà ramené la paix sur Terre que les humains de votre époque ont manqué de détruire. Je porterai mon message de paix aux confins de l'univers.

Starac agît avant d'en avoir conscience. Il se jette sur la femme et la projette au sol. Ses mains se referment sur son cou et il serre de toutes ses forces. Le Xelys se débat quelques secondes et lui ouvre la joue de ses ongles. Puis ce pantin laisse ses bras retomber sur le sol. Pourtant elle vit encore, ses yeux se lient aux siens, ses lèvres bleuissent. Il continu de l'étrangler pendant une longue minute tandis qu'elle prononce une phrase silencieusement.

C'est inutile.

Alors que ses yeux deviennent vitreux, elle lui sourit. Les phalanges de Starac sont blanches sous l'effort lorsque finalement le corps se relâche. Il est essoufflé. Ses oreilles bourdonnent. Le sang coule de sa joue sur le visage blanc de la femme. Le corps du Xelys le regarde toujours de ses yeux morts. Un éclair zèbre le plafond de l'immense cathédrale. Le pont s'ouvre. Frederik sent le pouvoir affluer dans ses veines. Un pouvoir inutile. Il sent un picotement dans son esprit qui se transforme une violente douleur. 

Un sas s'ouvre au loin et il entends des centaines de pas qui se rapprochent. Les autres pantins du monstre. Le Père-Monde veut ce pouvoir mais il ne peut pas lui donner. Une voix froide et désincarnée résonne dans la salle.

Il est inutile de se battre. Je vous réincarnerai aussi souvent qu'il sera nécessaire. 

Il pense à sa femme. La retrouverait-il dans l'autre monde ? Que prouvait l'existante du Pilier. Cela ne prouve rien.

Alors raisonne au fond de son esprit une autre voix, puissante et majestueuse. Une voix si incroyable qu'il fond en larmes. Il n'entend pas de mot mais ressent tout, chaque molécule de son corps, chaque atome de la station. Il perçoit le générateur de vide à des kilomètres sous lui. Il sent la puissance de la station, voit les flux d'énergie parcourir ses entrailles.

Il ressent sous ses pieds le contact doux et chaud de l'herbe. La chaleur d'un soleil depuis longtemps oublié. Le vent qui caresse son visage. Ses yeux ne voient que le bleu du ciel... 

Il n'a pas d'autres choix.

***

Ganesh se transforme en étoile et brille d'une brève mort.

Souvenir RéincarnéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant