Chapitre 2.

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            Le lendemain matin, je sortis de chez moi d'un pas vif pour aller au café du centre-ville. J'y travaillais comme serveuse depuis le début de l'été, pour mes parents qui affirmaient que je devais apprendre à gérer un budget moi-même... Je pensai encore à ce qui m'arrivait, éprouvant à la foi une crainte de l'inconnu, et une folle excitation due à cette découverte... magique ? Je me demandai ce que pensait mon père après l'épisode d'hier soir, et s'il en avait parlé à ma mère. Quand je les verrais ce soir, est-ce qu'ils feront comme s'il ne s'était rien passé ? Ou au contraire, m'assailliront-ils de questions ? Il fallait bien que j'en parle à quelqu'un, je ne pouvais décidément par rester ainsi à me triturer les méninges.

L'après-midi touchait à sa fin et je m'apprêtais à prendre le chemin du retour lorsqu'un homme se planta devant moi. Grand, bronzé, d'âge mur, il portait un smoking blanc, du genre mafieux italien, et tenait entre ses lèvres fines un cigare fumant. Sa moustache, qui devait autrefois être blanche, était devenue jaunâtre, probablement à cause de son penchant apparent pour le tabac. Il ne paraissait pas à sa place, dépaysé, mal à l'aise, comme le serait un cowboy dans une publicité de gel douche. Il me fixa quelques secondes, fouilla dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une carte de visite qu'il me tendit. Il tourna ensuite les talons et disparut dans la rue.

Je pris aussitôt le chemin du retour. Voilà d'étranges manières ! Tellement étranges que je ne pus m'empêcher de me demander si cet homme avait quelque rapport avec les curieux changements qui surgissaient en ce moment. D'après sa carte de visite, il s'appelait Eliad Hett, et il était psy. Pendant toute ma vie, du moins jusqu'à maintenant, il ne s'était jamais rien produit d'aussi bizarre, d'aussi inexplicable, mais j'avais pourtant le sentiment que tout cela ne faisait que commencer. Et il faut avouer que toutes ces nouveautés n'étaient pas pour me déplaire...

Une fois arrivée chez moi, je claquai la porte d'entrée, histoire de faire entendre à tout le monde que j'étais rentrée, et montai les marches des escaliers deux à deux pour me précipiter dans ma chambre. Je jetai mes affaires dans un coin de la pièce et m'assis devant mon bureau. Je mis mon vieil ordinateur en route, regardant par la fenêtre mes frères jouer dans le jardin. Dans un bruit d'aspirateur, je parvins à accéder au serveur de recherche et y rentrais le nom de mon nouvel ami en costume blanc, Eliad Hett. Le premier lien sur Google fut le bon : c'était un psychologue qui exerçait sa profession... à Londres. J'habitais en France, et le chemin entre son cabinet et chez moi était de l'ordre de 500 km, en comptant la mer. Il avait un sacré bout de chemin pour venir me voir dans ma petite ville paumée du sud de la Bretagne. Savoir que cet anglais, qui ressemblait d'ailleurs bien plus à un italien, habitait si loin me rendait perplexe. Enfin, il était aussi possible qu'il fut de passage en France et que son associé lui avait passé un coup de téléphone lui disant : « Tiens, si tu pouvais passer voir Lana Cleese, ça serait bien, elle est bizarre et a probablement besoin d'un psy. » Si au moins il avait un associé... Ou peut-être même qu'il donnait ses cartes de visites à des gens au pif, dans la rue, pour se faire de la pub. Aucun intérêt. Je froissai sa carte de visite et la lançai dans ma poubelle.

Le dîner du soir fut particulièrement gênant. Mes parents ne cessaient de me jeter des coups d'œil, attestant ma théorie selon laquelle ma mère avait été mise au courant. Lorsque mes frères furent couchés, ils passèrent tous deux à l'attaque.

- Lana, il faut qu'on parle, dit doucement ma mère.

- Papa, Maman, arrêtez d'en faire toute une histoire. Vous devriez voir vos têtes, on croirait que quelqu'un est mort.

- C'est pas quelque chose d'anodin, ma chérie, ce qui t'arrive est très étrange et il faut faire quelque chose, répondit mon père, qui pensait apparemment comme ma mère que c'était une affaire d'état.

Lana CleeseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant