Lana Cleese

Chapitre 9.

     Quelques gouttes humides perlèrent sur le haut de mon crâne, plus froides que de la glace, me faisant frissonner de la tête aux pieds. J'ouvris un œil et observai le ciel sombre, les images de la soirée passée m'envahissant petit à petit. Collé contre moi, un bras autour de ma taille, Jude dormait toujours. Ses mèches blondes tombaient sur son front, son visage était endormi et serein, il était très beau. Je tentai de m'échapper de son étreinte avant qu'il n'émerge, pour éviter toute réaction embarrassante. Le ciel grondait , la pluie commençait à tomber, tambourinant sur les quelques morceaux de toiture restant. Les jumelles devaient surement s'inquiéter, à cette heure-ci, il devait être près de midi. Doucement, je réveillai Jude, qui ne paraissait pas dérangé de dormir sous la pluie.

Nous rentrâmes au château dans un silence gêné. J'avais les idées plus claires, à propos de moi, du danger, de Jude. Je lui jetai des regards pendant qu'il avançait dans la forêt ruisselante, d'un pas vif, en regardant fixement devant lui. Il semblait froid, distant... Peut-être n'était-il simplement pas du matin. Sous le ciel gris et pluvieux, les rafales de vent faisaient danser mes cheveux auburn. Je regardai le parc désert : les portes d'ébène du château étaient ouvertes, et dans le hall, quelques étudiants vadrouillaient, sortaient sur les grandes marches pour observer les nuages orageux qui annonçaient une tempête proche. Nous nous précipitâmes sur le hall pour échapper à la pluie, et Jude s'éloigna sans un mot, sans même un regard, vers les dortoirs masculins, tandis qu'Alessia, l'amie de Joachim, m'intercepta pour me parler. Elle était gentille, mais un peu collante et beaucoup trop bavarde. A ce moment-même, je n'avais qu'une envie : prendre une bonne douche chaude et oublier tous les problèmes qui me tombaient dessus. Elle disserta pendant cinq longues minutes sur le sujet de philo, puis je m'échappai, prétextant un rendez-vous urgent. La chambre était vide, et je me précipitai sous la douche que je m'appliquai à réchauffer jusqu'à ce que ma peau rougisse et que la vapeur ait envahi la pièce. Malgré tout, je n'arrivais pas à me sortir de l'esprit Jude, ni le danger que j'encourais, ici. Pourquoi étais-je une cible, pour eux ? S'ils voulaient renverser la monarchie du monde Structor, en quoi serai-je un obstacle ? Je n'étais qu'une simple étudiante, je ne connaissais ce monde depuis seulement trois mois, je ne connaissais rien ! C'était complètement incompréhensible. Et ridicule. Cependant, tous les choses inexplicables qui s'étaient produites menaient toutes à moi. Peut-être que cela n'avait rien à voir avec la situation politique, mais dans ce cas-là, il n'y avait toujours aucune raison pour que je sois considérée comme un danger. Si j'avais su qu'en arrivant ici, des gens voudraient ma peau... Tout cela ne pouvait pas être une coïncidence, et Jude était persuadé que quelque chose se tramait, alors je devais rester sur mes gardes. Mais pas question de renoncer à mon amitié avec Victor pour autant, même si Jude désapprouvait. Lundi, je le prendrais entre deux murs, lui ferais la morale pour ne pas qu'il recommence et m'excuserais d'avoir mal réagi, et tout redeviendrait comme avant. Je sortis de ma douche plus décidée que jamais à reconstruire notre amitié, et je tombai sur Rebecca. Elle était assise par terre, à côté des lavabos, dans un coin de la pièce. Ses yeux étaient rouges et gonflés, son mascara avait coulé et ses cheveux étaient en bataille. Je resserrai la simple serviette qui couvrait mon corps et me précipitai à côté d'elle.

- Qu'est-ce qui ne va pas, Rebecca ? demandai-je doucement.

Elle releva la tête et s'exclama :

- Où étais-tu passée ? On t'a cherché toute la soirée, mais toi et Jude, vous aviez disparus !

- C'est ça qui t'a mis dans cet état ? Dis-je, surprise d'être le sujet d'un tel chagrin.

- Oui, non... Enfin non, ce n'est pas toi. Jo et moi nous sommes disputés, hier soir. C'est fini, maintenant.