Le clapotis de l'eau trouble qui noyait les chevilles d'Aurore lui retournait l'estomac, écho insupportable lui rappelant la présence si proche d'elle des pattes ligneuses, luisantes et repoussantes de l'insecte monstrueux.
Elle dut faire un considérable effort pour se maîtriser, rationaliser sa situation, se concentrant sur le fait que cette créature ne semblait pas vouloir lui nuire pour le moment.
"Pas avoir peur...de vous ?", bredouilla t-elle confuse, son regard ne pouvant se détacher des deux crochets qui cliquetaient devant la tête du monstre, et qui faisaient la taille de son bras.
Le monstre siffla à nouveau pour toute réponse, puis se mit à activer ses pattes pour se déplacer rapidement, son corps formant un cercle autour d'Aurore : il l'observait sous tous les angles.
Mal à l'aise, l'adolescente se retint de hurler à nouveau, et se força à respirer profondément : elle voulait absolument retrouver la maîtrise de soi pour voyager hors de cette grotte, de la même façon qu'elle y était venue. Malheureusement, c'était impossible : Aurore ne pouvait tout simplement plus repartir, elle ne parvenait pas à retrouver cette sensation de déplacement qui l'avait amenée ici.
"Tu veux...partir ? ", crissa Celui-Qui-Marche, lentement, dévoilant son incompréhension.
Aurore déglutit difficilement, objectant :
"Comment pouvez-vous savoir ?..."
L'insecte géant fut alors parcouru sur tout le long de son corps par un infime tremblement, et il émit une série de petits crissements répétés. Aurore mit quelques secondes à comprendre qu'il riait.
"Tu pensais sérieusement que tu pouvais Marcher seule ? ", questionna Kaïss, amusé, "Tu Marches parce que je suis ton hôte, et que tu es mon hôte."
Confuse, Aurore ne put que bégayer :
"Vous...C'est vous qui... voyagez ?"
"Je suis le Voyage.", répondit-il simplement, déroulant son corps à nouveau, se déplaçant devant elle et se dressant sur ses pattes pour atteindre le plafond.
"Mais alors...De qui...De quoi faut-il avoir peur ?", questionna Aurore, soulagée qu'il s'éloigne enfin, se souvenant de sa première remarque.
Celui-Qui-Marche émit alors un sifflement strident, et il s'agrippa au plafond puis plongea dans l'obscurité et se cacha dans un recoin noir de la grotte. Il avait entièrement disparu à la vue d'Aurore.
"On ne parle pas de Lui ici ! ", protesta Kaïss, sa voix maladroite se répercutant en écho dans l'immense cavité, sans que la jeune fille ne put savoir où exactement il s'était terré.
Aurore frémit : elle ne put imaginer une horreur capable d'effrayer même un tel monstre, détenteur de ce qui semblait être le don d'ubiquité.
"Pourtant", reprit-elle, "C'est vous qui m'avez dit...Je n'ai pas à avoir peur de vous mais de quelqu'un...quelque chose d'autre, n'est-ce pas ?", insista t-elle.
Si vraiment cette chose existait, sa priorité était de mettre le plus de distance entre elle et cette entité.
"Kriiso'rek sevor Zetah..." cracha Kaïss quelque part, mécontent. "Vous les humains êtes trop curieux...Le nom qu'il porte chez vous est Celui-Qui-Voit."
Il y en avait donc d'autres...D'autres comme lui ?
"C'est...un de vos semblables ?" devina Aurore naïvement.
"Zetah n'a rien de commun avec moi ! Il ne m'a jamais Vu, non, et il ne faut pas qu'il me Voie...Pas qu'il me Voie..." chuchota t-il en se perdant dans des crissement effrayés et incompréhensibles.
Aurore tendit l'oreille, espérant en apprendre plus, jusqu'à ce qu'il ajoute distinctement :
"Tu ne dois pas retourner dehors ! Ici nous sommes cachés à sa Vue, ici nous sommes en sécurité. Loin, loin de Zetah."
L'adolescente comprit alors avec horreur que le monstre voulait la garder à ses côtés ! Elle devait absolument le convaincre de la renvoyer chez elle.
"Écoutez ! Je ne connais pas ce Celui-Qui-Voit, mais je promets de faire attention à lui si vous me laissez partir ! Je ne peux pas vivre ici, c'est impossible, je dois rentrer."
"Faire attention...Un humain n'est jamais assez attentif pour Zetah." énonça doctement Kaïss.
"S'il vous plaît, laissez-moi rentrer ! Je vous jure que je ferais ce que je pourrais pour rester hors de sa vue ! Cette grotte...Je ne peux pas rester ici.", plaida Aurore, sentant des larmes de désespoir monter à ses yeux.
Sa sensation de liberté lui revint, tandis que les crissements de l'insecte résonnaient toujours à ses oreilles :
"Bien...Souviens toi si tu rencontres un autre hôte, surtout ne lui fais pas confiance...Pas confiance !"
Mais elle fuyait déjà, fuyait loin de cette grotte et de tout ce qu'elle représentait. Elle glissait, glissait à toute vitesse à travers le temps et l'espace, glissait à travers la réalité. Cette fois-ci, elle connaissait le chemin. Elle atterrit brusquement dans les rues de Paris, au même endroit qu'elle les avait quitté.
Le choc du retour à la réalité la jeta sur ses genoux, pantelante et nauséeuse. Elle souffla bruyamment pendant quelques secondes, puis ne put se retenir de vomir, le souvenir de l'insecte géant trop présent dans son esprit.
Dégoûtée, prise d'une terrible migraine, Aurore se remit sur ses pieds et se figea un instant, confuse. Elle avait vomi du sang.
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Aurore était rentrée chez elle aussi vite qu'elle l'avait pu. Cette fois-ci, elle ne put échapper à l'inquisition rigoureuse et inquiète de sa mère concernant sa santé.
Il fallait bien avouer que son teint crasseux, ses cernes voyantes et sa démarche peu assurée n'aidait pas son cas.
Alice exigea d'elle qu'elle avale cinq médicaments différents avant de faire quoi que ce soit. Cette fois-ci, Aurore accepta de bon cœur, même si elle doutait fortement que son problème s'arrangerait avec des pilules d'antibiotiques.
Qu'arrivait-il à son corps ? Suite à cette entrevue déplaisante qui lui avait parue plus que réelle, elle souffrait d'un très lourd contrecoup qui l'inquiétait. Heureusement, sa mère ne l'avait pas vue cracher son propre sang, et elle ne comptait pas lui en parler.
Néanmoins, elle n'avait pas pu s'empêcher de craindre pour sa vie quand elle avait vu le visqueux mélange rougeâtre s'échapper de sa gorge.
Elle repensa aux voyages qu'elle venait de faire : elle s'interdit d'essayer à nouveau. C'était bien trop dangereux, surtout si elle se perdait comme elle venait de le faire. Peut-être était-elle allée trop loin et son corps lui réclamait un paiement ?
Comment les autres, venus de l'Autre Côté, faisaient-ils pour ne pas se perdre, eux ?
En tout cas, elle était soulagée d'avoir pu mener à bien son retour. Elle pouvait maintenant se concentrer sur le problème des Rouges.
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Aura
FantasyElle vous est très certainement invisible, mais comme tout le monde, vous possédez une aura. Vous n'en n'avez pas conscience, mais certains voient briller sa couleur aussi clairement qu'un phare dans la nuit. Vous ne le savez surement pas, mais la c...