Chapitre 7 : Les Rouges

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Aurore ne s'était pas rendormie, cette nuit-là. La vivacité de ce cauchemar lucide avait été suffisante pour la maintenir éveillée jusqu'au matin. Épuisée et tendue, elle se força à déjeuner en essayant de ne pas penser à l'horrible chose qu'elle avait imaginée en rêve pour ne pas se couper l'appétit.

"Tu es sûre que ça va ?", demanda sa mère, s'approchant pour vérifier sa température.

"Oui, j'ai peut être choppé quelque chose, dehors, mais... ça passera, t'inquiètes !" esquiva t-elle, "De toute façon, je dois y aller !"

Elle ramassa ses affaires en vitesse et se mit en route pour le lycée. Elle n'avait qu'une envie : s'aérer l'esprit et penser à autre chose. Elle voulait à tout prix retirer cet affreux songe de sa mémoire, si seulement elle pouvait porter sa concentration sur autre chose, sortir de cette prison mentale...

Sans le vouloir, sans y penser, elle avait changé sa vision du monde. Une chaude couleur dorée l'enveloppait toute entière, et partout dans la rue elle percevait des lueurs grisâtres autour des autres passants.

Ha oui, ça...

Il y avait ça.

Aurore devait aussi admettre l'existence des auras, que ça lui plaise ou non, maintenant qu'elle les voyait clairement. C'était ça, ou se remettre dans les mains d'un hôpital psychiatrique d'elle-même. En fait, ça avait été plus facile qu'elle ne l'aurait cru au départ : elle ne choisissait pas la réalité dans laquelle elle vivait, mais si elle avait pu choisir, elle aurait peut-être bien choisi ça. Peut-être que l'idée la séduisait, au final. Et puis, dans ce nouvel univers, elle était spéciale, exceptionnelle. Peut-être que ça l'aidait.

Distraite, elle faillit passer son chemin quand quelqu'un l'interpella dans une ruelle adjacente à son chemin.

"Aurore ! Hey !" Entendit-elle distinctement.

Elle ne reconnut pas la voix directement, et tourna la tête brusquement en direction de l'appel, mais ne vit rien.

"Rob ?", devina t-elle, avant de s'engager dans l'intersection pour satisfaire sa curiosité. La ruelle était sombre : le matin venait à peine de se lever, et aucune autre lumière que son aura n'éclairait l'endroit.

Personne ne lui répondit, ce qui la força à s'engager plus loin dans l'impasse, jusqu'à ce qu'elle ait aperçu quelqu'un, couvert d'un manteau imperméable et d'un chapeau qui cachait son visage. Quand il le retira, Aurore vit qu'elle ne connaissait pas celui qui l'avait appelée, et elle commença à prendre peur.

"C'est pas lui, ma douceur. Mais moi aussi je peux t'emmener de l'Autre Côté voir quelqu'un...", commença t-il, faisant signe à quelqu'un derrière lui.

La jeune femme fit volte-face, et se trouva confrontée à un autre inconnu. Sa panique et son désir de le reconnaître, en quelque façon que ce soit, lui fit révéler instinctivement son Aura : rougeoyante comme un âtre rempli de braises.

"Notre patron veut te parler.", continua derrière elle celui qui l'avait interpellée.

"Pas intéressée !" lâcha t-elle, le souffle court, cherchant des yeux une issue.

"C'est dommage, on te demande pas ton avis !" répliqua t-il, tandis que les deux hommes se rapprochaient d'elle en la prenant en tenaille. Brusquement, celui derrière elle se mit à la charger et lui agrippa le bras ; alors elle sentit une sensation étrange.

Elle sentait sa réalité s'éloigner, comme si le sol défilait à grande vitesse sous ses pieds : elle se sentait faire un voyage à travers une dimension qu'elle ne percevait pas.

Cette sensation réveilla en elle pendant un instant infinitésimal l'image du monstre de son cauchemar. Ce fut comme un électrochoc : ce souvenir anima en elle son Aura dans toute sa puissance.

L'impasse entière fut éclairée d'un flash de lumière dorée, alors qu'une idée simple, mais ferme, traversa l'esprit d'Aurore :

"Non ! Je reste ici !"

La sensation de défilement stoppa net, apparemment à la grande surprise de son agresseur, qui la maintenait toujours par le bras, les yeux écarquillés devant l'échec du voyage.

Mue par un instinct primal, Aurore se servit de la force conférée par son Aura pour contre-attaquer : elle se saisit elle-même du bras droit son adversaire et le projeta contre les conteneurs poubelles sur sa droite en pivotant d'un mouvement fluide, ce qui l'assomma sur le coup. Le corps de l'homme se plia comme s'il était fait de tissu, et un craquement sinistre retentit alors, réveillant chez la jeune fille un profond sentiment de dégoût.

Toujours électrisée par cette force intérieure et par le flux d'adrénaline qui la secouait, elle fit face à son second agresseur qui fonçait vers elle, et le stoppa net d'un coup direct de sa paume à la gorge.

Il hoqueta, et ne put réagir à la suite : Aurore virevolta derrière lui et asséna un violent coup de pied dans son mollet, ce qui le fit s'effondrer avec un cri de douleur pitoyable.

Sans prendre le temps de réfléchir à ce qui venait de se passer, elle prit la fuite en courant aussi vite qu'elle le put. Elle voulait à tout prix mettre le plus de distance possible entre elle et cette ruelle sombre.

Mais très vite, la rationalisation reprit le dessus, et les questions s'accumulaient dans sa tête : qui étaient ces gens, que lui voulaient-ils ? Elle avait pu très clairement distinguer leurs auras rouges, et elle commençait à faire le rapport avec le discours de Blanche. Ces gens étaient donc réellement dangereux, et ils s'en prendraient à elle sans hésiter !

Et qu'en était-il d'elle ? Que lui arrivait-il ? Elle n'avait jamais appris à se battre, et pourtant elle venait de se défaire de ces deux hommes sans la moindre difficulté. Certes, l'adrénaline pouvait aider, elle en était consciente, mais ce qui venait de se passer tenait du miracle... Il y avait autre chose. Et elle était convaincue que cela avait quelque chose à voir avec le monstre de son cauchemar.

Frissonnant, elle tenta de nouveau de le chasser de ses pensées : son aspect, sa présence même non-dite dans son esprit lui était insupportable.

Retrouvant ces esprits, elle termina son chemin vers le lycée : il fallait qu'elle en parle à Mickaël ! Peut-être que lui saurait quoi faire. En tout cas, il n'avait pas intérêt à se plaindre : elle allait enfin lui donner ce qu'il attendait, lui parler de ces gens qui débarquaient dans sa vie. Elle parvint enfin, transpirante, devant la salle de classe fermée : le cours devait avoir commencé depuis peu.

Elle prit quelques secondes pour se calmer, puis entra et contempla sa classe. Elle retint un hoquet de surprise. Mickaël l'attendait à sa place, entouré d'un léger halo rouge, au milieu de tous les autres élèves arborant une discrète lumière orangée.


AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant