Chapitre 15 : Fuir

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Aurore courait à s'en brûler les mollets. Le couloir de pierre filait à toute allure. Se presser l'empêchait de penser : penser à ce qui arriverait si elle se trompait sur ce qui était arrivé à Mickaël, par exemple.

Et si les Rouges avaient plutôt décidé de s'en débarrasser plutôt que de s'en encombrer ? A l'évidence vu leur façon de s'engager dans ce conflit, il avait été très mal reçu quand elle l'avait renvoyé dans leurs bras. Si elle avait une petite chance d'arranger les choses, elle se devait d'essayer.

La discrète lumière rougeoyante s'accentuait au bout du tunnel : c'était l'indice qu'elle arrivait au bout du chemin. L'adolescente ralentit son rythme, optant pour la discrétion et reprenant peu à peu son souffle.

Un coup d'œil vers la sortie du conduit lui offrit une vision grotesque : de lourds piliers de bois rapprochés les uns des autres constituaient une cellule de fortune, son ex-petit ami enfermé à l'intérieur, recroquevillé sur lui-même, l'air dépité. Elle aurait pu rire de l'étrangeté de la scène si sa réalité ne la choquait pas autant.

Plissant les yeux, elle distingua deux individus à l'aura rouge de part et d'autres des barreaux de bois, montant la garde. Aurore n'eut qu'à faire deux pas de plus, et ils la repérèrent immédiatement, levant tous deux un regard étonné vers la jeune fille.

"C'est elle !" s'écria celui de droite, s'emparant d'un bâton de combat reposant à son côté.

Son compagnon l'imita immédiatement, et Aurore serra les dents : plus question de reculer, maintenant.

L'imminence de l'affrontement réveilla instinctivement sa force enfouie et sa rage : l'adolescente laissa échapper un cri de guerre sauvage et chargea à toute vitesse son adversaire de droite, sans aucune considération pour sa propre sécurité.

Celui-ci, surpris de tant d'agressivité, n'eut pas le temps de lever son bâton : Aurore, son aura dorée brillante comme un soleil ardent, avait bondi sur lui, les genoux au niveau de son épaule. Le choc fut brutal : l'homme fut repoussé violemment contre les barreaux de la cellule improvisée, son dos heurtant le bois dans un fracas douloureux.

L'adolescente lui vola le bâton des mains, puis d'une torsion brusque des jambes, lui tordit le cou. Le gardien s'écroula tandis que l'autre fonçait pour l'aider, tâchant de repousser Aurore avec son bâton. Mais elle s'était déjà éloignée d'un bond agile, détendant ses jambes, et retombant quelques mètres en arrière en glissant au sol, sa main gauche à terre pour se stabiliser tandis que ses pieds freinaient, sa main droite tenant fermant son arme nouvellement acquise en l'air, prête à l'emploi.

La rage au ventre, Aurore chargea à nouveau son adversaire, cette fois-ci en se servant du bâton robuste pour s'ouvrir la route. Elle le fit tournoyer habilement par de rapides manipulations de ses doigts pour que sa première attaque soit imprévisible : elle désarma le gardien d'un vif coup direct au poignet. N'attendant pas qu'il se reprenne, elle mania l'arme dans un nouveau tournoiement fugace et atteint l'homme brutalement à la tempe, ce qui le jeta au sol, assommé.

Ses deux opposants hors de combat, Aurore prit quelques secondes pour souffler et ses exploits au combat la choquèrent autant que la première fois. Comment se faisait-il qu'elle était capable d'une telle férocité ?

Face à elle, Mickaël l'observait avec des yeux ronds, la bouche ouverte. Il était apparemment tout autant étonné qu'elle-même de sa propre habileté martiale.

"Où est-ce que tu as appris tout ça ?", parvint-il à lâcher, incrédule.

Aurore grimaça, incapable de fournir une réponse correcte :

"J'en sais rien, sans doute des documentaires sur les moines shaolin à la télé. On s'en fout ! Je te sors de là !"

Elle voulut se servir de sa force brute surnaturelle qui l'habitait pour arracher un des piliers de bois qui emprisonnaient Mickaël, mais il tint bon : elle ne parvint qu'à se planter une écharde dans la paume de sa main quand elle insista un peu trop.

Lâchant un juron, frustrée, elle lui dit :

"Ça ne marche plus ! On dirait qu'il faut que je sois en danger pour que je puisse me servir de...ce que tu viens de voir. Il n'y a pas un autre moyen de te sortir de là ?" chercha t-elle à savoir.

"Ils m'ont amené par la porte, là." fit-il, désignant un fin panneau de bois à sa gauche. "Mais c'est fermé par un cadenas, peut être qu'ils avaient la clé." supposa t-il en évoquant les gardiens.

"Tu as raison, je vais les fouiller."

Elle joignit l'action à la parole en se penchant sur les corps inanimés -endormis, elle l'espérait- des deux hommes qui avait monté la garde. Après une minute de recherche, elle sortit une petite clé de métal d'une de leurs poches.

"J'ai trouvé !" s'exclama t-elle, triomphante.

"Toi..." évoqua une voix caverneuse, rauque, derrière elle.

Aurore fit volte-face immédiatement, pour observer celui qui avait prononcé ce mot. Il ressemblait à une ombre, une silhouette faite d'oubli et de nuit. Une épaisse cape d'un noir profond recouvrait en totalité son corps, y compris son visage, entièrement caché par une capuche ample. Seuls ses yeux s'y devinaient, ses iris brillants d'un éclat sombre d'opaline. Son aura accompagnait sa silhouette telle une brume sinistre : un nuage d'une noirceur totale l'entourait vaguement.

Le cœur de l'adolescente tomba dans sa poitrine.

"...Je te veux..." continua t-il, "Je veux le Voyage."

Kriiso'rek revok Zetah

Le souvenir résonna profondément dans l'esprit d'Aurore. Un autre hôte ! Cet homme était comme elle, comme Blanche. Il savait.

"Celui-Qui-Voit..." murmura Aurore, frappée d'horreur.

Il leva un bras vers elle, et le nuage d'ombre qui l'accompagnait fondit sur la jeune fille. Sa douce couleur d'or disparaissait, remplacée peu à peu par l'obscurité de la nuit.

Elle laissa échapper un cri de frayeur, son esprit occupé par une seule idée : il fallait fuir. Elle se jeta sur la serrure, manipulant maladroitement la clé pour libérer son ami. Elle perdit de précieuses secondes dans le stress de l'opération, tandis que l'aura de l'intrus dévorait la sienne sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.

Une fois le cadenas vaincu, elle ouvrit violemment le panneau de bois et hurla à Mickaël :

"Cours ! Sans te retourner !"

Elle suivit immédiatement son propre conseil, voulant mettre le plus de distance possible entre elle et cette ombre vivante. La masse informe de nuages noirâtres la suivit dans sa fuite, occupant le couloir qu'elle dévalait, Mickaël sur ses talons.

"Donne-moi la main !" lui hurla t-elle, ses doigts rejoignant ceux de son ami qui peinait à la rattraper.

Sa couleur dorée était presque entièrement disparue : il ne fallait en aucun cas s'arrêter de courir, ou elle savait qu'elle perdrait tout pouvoir de Voyage, entièrement dévorée par l'aura noire.

Elle sentit le contact de son ami derrière elle, sans le regarder. Sans réfléchir, elle les emmena tous les deux, loin d'ici.

Le plus loin possible.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant