Quand raison et cœur se battent

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La présence des filles me permit d'être plus sereine en allant au débat. Je ne pouvais empêcher mon cœur de battre fort dans ma poitrine, mais, j'aurais été seule, mon corps tremblerait sans doute, et je n'oserais pas y aller. Elles voulaient que je réfléchisse. Elles en avaient de bonnes ! J'en étais bien incapable, je devais bien l'avouer. Et puis, dans le fond, il n'y avait pas tellement à penser. J'avais Jonathan, j'avais mes amis,j'avais mes études. Que pouvais-je vouloir de plus ? J'avais déjà tout. En fait, ce n'était qu'un caprice de gamine pourrie gâtée, c'était certain ! J'avais conscience d'en être une depuis que Fanny me l'avait balancé à travers la figure en terminale, parce que je me plaignais trop justement. Capricieuse,oui, je devais l'être, ça allait ensemble, non ? Alors quand ça serait passé, ça irait certainement mieux. Oui, voilà, c'était comme ça que je devais penser !

Fanny n'avait pas menti en disant que la salle n'était pas loin. Je déglutis avant d'entrer.En fait je craignais ce que j'allais y trouver. Je pris une profonde inspiration et y allais, derrière Sarah. C'était une petite salle que les nuances de bleus et de verts rendaient apaisante. Il y avait déjà un peu de monde mais je m'en moquais. Elle était là, je l'avais su dès que j'étais entrée. Elle avait fait un effort vestimentaire, si je pouvais dire ça comme ça, comme la veille,chemise blanche, jean noir... Ses Rangers, ses piercings, sa clope derrière l'oreille, la panoplie de la parfaite brouilleuse de cerveau. Elle était sur l'estrade, discutant avec trois hommes et une femme. Et bien sûr, c'était la seule à ne pas porter de costume ou de tailleur. Mais elle était classe, si belle à sa manière... DINAH ! Bref ! 

Nous nous plaçâmes dans un coin, au dernier rang sur une suggestion astucieuse de Blandine. Toutes les personnes présentes semblaient expertes dans le domaine de l'art. Nous l'entendions à leurs conversations, et nous reconnûmes même quelques artistes, galeristes et autres. Nous n'étions que de petites étudiantes. Nous avait-elle invitées pour nous humilier ? Pour qu'on se rende bien compte qu'on ne faisait pas encore vraiment parti de son monde ? Même si j'aurai bien voulu le croire, histoire d'atténuer ma fascination presque malsaine selon moi, je savais dans le fond, que cela ne pouvait être vrai.Elle semblait bien trop droite, bien trop vraie. 

Les cinq animateurs de la soirée prirent place à la table qui nous faisait face et, doucement, le silence se fit. Ce fut l'homme placé au milieu, un quinquagénaire trapu et barbu qui me faisait penser à mon maître de CM2, qui prit la parole. 

« Mesdames,Mesdemoiselles, Messieurs, merci d'être venus à notre prise de parole sur le thème « Les désirs des artistes et leurs œuvres ». » 

Les désirs des artistes ... Il était vrai que je n'avais pas eu la plaquette en main. Et je n'avais pas été attentive en rentrant. Pourquoi le thème me chamboulait-il autant ? Et pourquoi nous avoir conviées ? Le débat commença mais je n'arrivais pas à suivre. Cette question tournait en boucle dans ma tête. Ce fut un coup de coude de Fanny qui me tirade ma rêverie. Elle parlait. Je fronçais les sourcils, tiquant sur une de ses phrases.

« Je pense sincèrement que les désirs provoquent les émotions présentes dans les œuvres de beaucoup d'artistes reconnus. Un artiste doué le restera, mais sans émotions,l'œuvre peut être certes magnifique, elle ne provoquera rien d'autre chez celui qui la regarde. » 

Cela créa un murmure dans la salle. Alors, c'était ça ? Sa remarque, dans la galerie, la veille... Mes œuvres manquaient cruellement d'émotions ? Voilà le motif de son invitation ? Ce fut comme un coup dans la poitrine. Je ne savais comment le prendre,sincèrement. Je serrai les poings. Au final, c'était bien pour me rabaisser non ? Fanny m'attrapa la main et secoua la tête. Elle se pencha vers moi. 

« Arrête de penser ! Et arrête de te faire des idées. Suis juste, c'est super intéressant. »

Ok, zen Dinah. J'avais sûrement tord si elle me disait ça. Je la vis murmurer à l'oreille du maître de conférence, si je pouvais l'appeler comme ça. Il acquiesça,écoutant les personnes qui s'exprimait sur la question. J'oubliais presque cet aparté, avant qu'il ne reprenne la parole. 

« Il me semble que nous avons parmi nous de jeunes étudiants peintres à la Sorbonne. Veuillez vous lever, que l'on vous voit , s'il vous plaît. » 

Je dus pâlir violemment. Quoi ?C'était quoi ce faux plan ? Avec les filles, nous nous regardâmes,et lorsque nous vîmes quelques autres de nos camarades, plus ou moins âgés que nous se lever, nous fîmes de même, un peu rassurées. Mais au fond de moi, j'étais tout de même déçue. Je pensais qu'elle n'avait invité que nous... 

« Bien,jeunes gens, tout d'abord, je me permets de vous souhaiter la bienvenue dans le monde de l'art aussi vaste soit-il, et j'espère que vous vous y plairez. Nous allons faire une petite expérience. Vous, puis-je avoir votre nom, s'il vous plaît ? » 

Pourquoi ???Pourquoi me posait-il la question à moi ? Les filles m'encouragèrent du regard et je me raclais la gorge. 

« Dinah Patrick, Monsieur. » 

Il eut encore des babillages dans la salle, les gens se retournaient vers moi, avec intérêt pour beaucoup... Oui, j'étais plongée dans le monde artistique, la plupart des gens devait savoir que j'exposais, même dans une petite galerie. J'étais angoissée. Je sentais son regard posé sur moi,pas lourd, ni oppressant, plutôt comme une caresse chaleureuse qui m'embrasait toute entière... Fallait vraiment que j'arrête et que je pense à autre chose. L'homme au micro me sourit. 

« Aaah,une future prodige qui expose, c'est parfait ! Dis moi, quels sont tes désirs ? »

Mes désirs... Oui j'en avais,mais je ne savais pas si je devais les exprimer. 

« Je...Je voudrais me marier, avoir des enfants, vivre dans une maison avec un jardin et peindre quand bon me semble. » 

Il y eut quelques gloussements, même Fanny s'y mit. Mais ce n'était pas moqueur (sauf venant de Fanny bien sûr), plutôt incrédule je dirais. Et il y eut sa voix, mon cœur rata un battement. 

« Oui,c'est le genre que toutes les filles de ton âge veulent. Mais cherche au plus profond de toi. Même si ça te paraît irréalisable,même si c'est fou. »

Je la voulais elle, mais je réprimais cette chose-là au plus profond de mon être. Je fermais les yeux et ce fut comme si le temps s'arrêtait quelques secondes. Mes désirs...Ce que je voulais au plus profond de moi... 

« J'aimerai pouvoir voler. » 

EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant